Vous remarquerez que mes derniers billets n'ont pas tellement abordé des thèmes politiques, sociaux, moraux, ou d'autre domaine classique dans lequel le réactionnaire online s'illustre. C'est que cela me lasse terriblement. On relit toujours les mêmes réflexions, les nouvelles funestes se suivent et se ressemblent dans une chute régulière vers le chaos social et moral, et au final rien de bouge de notre coté. C'est excessivement mal, mais je m'en lave les mains, d'autant que mes affaires personnelles me tiennent bien occupé. Plutôt que d'aborder ces sujets de front, ce qui est vain, répétitif, et ennuyeux, je vais continuer en poussant ma gueulante sur une autre exemple de la faillite française: le BM63.
Cette reine parmi les chaussures, qu'on appelle plus communément "LA ranjo", a été en réalité baptisé "brodequin de marche modèle 1963" par l'administration, qui a le sens de la formule et l'âme poétique. Pour ceux qui ne la connaitrait pas, c'est la fidèle godasse de l'armée française depuis... bah, un baille! Elle est en cuir grainé généralement de haute qualité, semelle cousue goodyear, donc resemellable, et toutes les autres coutures sont doubles ou quadruples, sauf celles de la languette, qui remontent jusqu'au dessus de la cheville, rendant la chaussure théoriquement étanche. Elle est l'hétitière directe du BMJA -pour brodequin de marche à jambière attenante- qui lui-même était une récupération du vieux brodequin qui s'arrêtait à la cheville qu'on a piqué aux ricains. C'est un modèle qui donc a vu virtuellement l'Indochine et l'Algérie, et effectivement le Tchad, la Côte d'Ivoire, le Kosovo, l'Afghanistan.
Pour personnellement les porter régulièrement, j'avoue qu'on est pas baisé. Aucune pompe sur le marché ne peut rivaliser en qualité et en solidité pour le prix auquel on les trouve quasiment neuves en surplus (entre 40 et 60E), voire en brocante (5 à 20E). C'était vraiment un motif de fierté nationale. Il fallait donc que ça change. Paraît-il, on se plaignait dans les compagnies: elles auraient fait mal aux pieds. Une fois qu'on y est fait, et avec les chaussettes adéquates, j'ai découvert que c'est plutôt l'exact opposé. Si toutefois l'on connait sa pointure, car trop serré c'est immettable, et trop grand ça transforme le pied en loque sanguinolente, du fait que le pied se balade dans l'espace laissé libre, provoquant friction, donc ampoules. Sans vouloir remettre en cause la valeur de nos soldats, je pense qu'il y en a qui auraient mieux fait de devenir coiffeurs. Mais je suspecte surtout qu'on se soit mis en haut lieu à les trouver trop archaïques.
Car aux USA, les modèles tout cuir ont été remplacés petit à petit par des jungle boots, au départ mis au point pour la guerre du Vietnam. Nos jungle boots à nous, c"étaient les pataugas comme on dit vulgairement (en réalité des Wissart et des Palladium), très souples, légers, respirants, particulièrement adaptées aux terrains instables, boueux, demandant une grande mobilité des chevilles, et pas cher à produire, mais "jetables". Le jungle boots sont entre la vrai rangers et la pataugas, puisque la semelle est moulée (pataugas), qu'il y a quand même souvent des pièces de cuir (rangers), qu'elles sont légères, respirantes et souples (pataugas), mais d'une fabrication assez soignée (rangers). C'est ainsi que sans grande modification, la jungle boots du Vietnam est devenue celle pour l'Irak ou l'Afghanistan. C'était impossible avec la pataugas, trop légère, trop souple, que le sable et les cailloux de ces zones arides auraient martyrisé. Alors, logiquement, on a doté nos soldats des bonnes vieilles rangers grainées.
Mais voilà, l'herbe est toujours plus verte ailleurs, surtout aux pieds des pantins que l'Oncle Sam envoi au casse pipe. Et alors qu'on garde le FAMAS qui ne peut même pas être approvisionné correctement avec des munitions alliées (la chambre et la culasse du FAMAS n'est pas exactement aux même dimensions ni avec les mêmes tolérances que celle du M4, ce qui provoque des enrayements plus fréquents), on s'est mis à trouver qu'il n'était pas tolérable, au vingt-et-unième siècle et au troisième millénaire, d'avoir encore des godasses en cuir, cousues goodyear, qu'on pouvait garder des années. Il fallait de la semelle moulée, du nylon partout, ou du cuir bien souple façon peau de bébé dans une pub pour rasoir électrique, et qui ne se garde pas deux ans. De la modernité, quoi! Cela est déjà en soi affligeant, mais le "meilleur" est à venir.
Si ces rangers réglo ont été rendues légendaires, c'est en grande partie grâce à leur grande qualité. En effet, elles étaient fabriquées par Marbot à Neuvic, en Dordogne. Cette entreprise vivait des commandes de l'armée, qui représentaient, si je ne m'abuse, plus de 60% de son chiffre d'affaire. En gros, chez Marbot, on savait surtout faire de la ranjo, et précisément de la BM65. Il y avait les machines et l'outillage pour ça, et des ouvriers qualifiés. Aussi, je suppose, quand l'Etat a fait un appel d'offre, Marbot n'a rien pu présenter de convaincant, à pouvoir produire rapidement et sans gros investissement. Résultat, nos soldats iront maintenant mourir en Afghanistan puis en Iran avec des saloperies faites en Tunisie aux pieds. Marbot a été liquidé, les machines bradées, les 73 employés au chômage, et presque un demi-siècle d'histoire et de tradition ont étés balayés d'un mouvement de poignet.
Etudions plus en détail les tenants et les aboutissants de cet échec de la France contre elle-même. D'une part, il y a cette volonté idéologique de "modernité" sous des prétextes fallacieux (comme si on se souciait des petons de mecs qu'on envoi mourir loin de leurs familles pour les intérêts des puissances étrangères). C'est entendu. Mais le germe du problème, la puanteur malsaine dans cette histoire, c'est la manière dont sont compris et appliqués les principes libéralistes contre les peuples. L'idéologie de la "concurrence libre et non faussée" a mis 73 travailleurs sur le carreau. Car en faisant un appel d'offre, et connaissant la situation de Marbot, c'était joué d'avance. Marbot ne pouvait pas, vu le créneau dans lequel il était engagé depuis des dizaines d'années, passer du jour au lendemain de la bonne godasse tout cuir cousu goodyear à la pompe semi-jetable en nylon à semelle moulée. Non seulement ce n'était technologiquement pas possible, mais si jamais ça l'avait été, jamais, même avec la meilleur volonté du monde, n'aurait-il pu concurrencer le coût de la main d'oeuvre du tiers-monde. Lancer un appel d'offre, c'était déjà envoyer le commissaire priseur et les convocations ANPE. Tous le savaient! Et sciemment, délibérément, ils l'ont fait.
Mais en fait, avaient-ils vraiment le choix? Car, si l'on y regarde bien, ce libéralisme criminel, ennemi de l'humanité, a des alliés puissants. Cette "concurrence libre et non faussée", c'est une injonction de Bruxelles, qui jamais n'aurait toléré que l'Etat, au lieu de lancer un appel d'offre aux mêmes conditions pour les français que pour le tiers-monde, travaille main dans la main avec Marbot, élabore un modèle en connaissance des besoins du terrain et des moyens technologiques, investisse, fasse son possible pour que les ouvriers soient formés aux nouvelles méthodes, que le travail et les compétences restent en France. On est coincé. La France joue contre elle-même. Elle a refermé sur elle-même la dame-de-fer qui sera vraisemblablement son tombeau.
Cette reine parmi les chaussures, qu'on appelle plus communément "LA ranjo", a été en réalité baptisé "brodequin de marche modèle 1963" par l'administration, qui a le sens de la formule et l'âme poétique. Pour ceux qui ne la connaitrait pas, c'est la fidèle godasse de l'armée française depuis... bah, un baille! Elle est en cuir grainé généralement de haute qualité, semelle cousue goodyear, donc resemellable, et toutes les autres coutures sont doubles ou quadruples, sauf celles de la languette, qui remontent jusqu'au dessus de la cheville, rendant la chaussure théoriquement étanche. Elle est l'hétitière directe du BMJA -pour brodequin de marche à jambière attenante- qui lui-même était une récupération du vieux brodequin qui s'arrêtait à la cheville qu'on a piqué aux ricains. C'est un modèle qui donc a vu virtuellement l'Indochine et l'Algérie, et effectivement le Tchad, la Côte d'Ivoire, le Kosovo, l'Afghanistan.
Pour personnellement les porter régulièrement, j'avoue qu'on est pas baisé. Aucune pompe sur le marché ne peut rivaliser en qualité et en solidité pour le prix auquel on les trouve quasiment neuves en surplus (entre 40 et 60E), voire en brocante (5 à 20E). C'était vraiment un motif de fierté nationale. Il fallait donc que ça change. Paraît-il, on se plaignait dans les compagnies: elles auraient fait mal aux pieds. Une fois qu'on y est fait, et avec les chaussettes adéquates, j'ai découvert que c'est plutôt l'exact opposé. Si toutefois l'on connait sa pointure, car trop serré c'est immettable, et trop grand ça transforme le pied en loque sanguinolente, du fait que le pied se balade dans l'espace laissé libre, provoquant friction, donc ampoules. Sans vouloir remettre en cause la valeur de nos soldats, je pense qu'il y en a qui auraient mieux fait de devenir coiffeurs. Mais je suspecte surtout qu'on se soit mis en haut lieu à les trouver trop archaïques.
Car aux USA, les modèles tout cuir ont été remplacés petit à petit par des jungle boots, au départ mis au point pour la guerre du Vietnam. Nos jungle boots à nous, c"étaient les pataugas comme on dit vulgairement (en réalité des Wissart et des Palladium), très souples, légers, respirants, particulièrement adaptées aux terrains instables, boueux, demandant une grande mobilité des chevilles, et pas cher à produire, mais "jetables". Le jungle boots sont entre la vrai rangers et la pataugas, puisque la semelle est moulée (pataugas), qu'il y a quand même souvent des pièces de cuir (rangers), qu'elles sont légères, respirantes et souples (pataugas), mais d'une fabrication assez soignée (rangers). C'est ainsi que sans grande modification, la jungle boots du Vietnam est devenue celle pour l'Irak ou l'Afghanistan. C'était impossible avec la pataugas, trop légère, trop souple, que le sable et les cailloux de ces zones arides auraient martyrisé. Alors, logiquement, on a doté nos soldats des bonnes vieilles rangers grainées.
Mais voilà, l'herbe est toujours plus verte ailleurs, surtout aux pieds des pantins que l'Oncle Sam envoi au casse pipe. Et alors qu'on garde le FAMAS qui ne peut même pas être approvisionné correctement avec des munitions alliées (la chambre et la culasse du FAMAS n'est pas exactement aux même dimensions ni avec les mêmes tolérances que celle du M4, ce qui provoque des enrayements plus fréquents), on s'est mis à trouver qu'il n'était pas tolérable, au vingt-et-unième siècle et au troisième millénaire, d'avoir encore des godasses en cuir, cousues goodyear, qu'on pouvait garder des années. Il fallait de la semelle moulée, du nylon partout, ou du cuir bien souple façon peau de bébé dans une pub pour rasoir électrique, et qui ne se garde pas deux ans. De la modernité, quoi! Cela est déjà en soi affligeant, mais le "meilleur" est à venir.
Si ces rangers réglo ont été rendues légendaires, c'est en grande partie grâce à leur grande qualité. En effet, elles étaient fabriquées par Marbot à Neuvic, en Dordogne. Cette entreprise vivait des commandes de l'armée, qui représentaient, si je ne m'abuse, plus de 60% de son chiffre d'affaire. En gros, chez Marbot, on savait surtout faire de la ranjo, et précisément de la BM65. Il y avait les machines et l'outillage pour ça, et des ouvriers qualifiés. Aussi, je suppose, quand l'Etat a fait un appel d'offre, Marbot n'a rien pu présenter de convaincant, à pouvoir produire rapidement et sans gros investissement. Résultat, nos soldats iront maintenant mourir en Afghanistan puis en Iran avec des saloperies faites en Tunisie aux pieds. Marbot a été liquidé, les machines bradées, les 73 employés au chômage, et presque un demi-siècle d'histoire et de tradition ont étés balayés d'un mouvement de poignet.
Etudions plus en détail les tenants et les aboutissants de cet échec de la France contre elle-même. D'une part, il y a cette volonté idéologique de "modernité" sous des prétextes fallacieux (comme si on se souciait des petons de mecs qu'on envoi mourir loin de leurs familles pour les intérêts des puissances étrangères). C'est entendu. Mais le germe du problème, la puanteur malsaine dans cette histoire, c'est la manière dont sont compris et appliqués les principes libéralistes contre les peuples. L'idéologie de la "concurrence libre et non faussée" a mis 73 travailleurs sur le carreau. Car en faisant un appel d'offre, et connaissant la situation de Marbot, c'était joué d'avance. Marbot ne pouvait pas, vu le créneau dans lequel il était engagé depuis des dizaines d'années, passer du jour au lendemain de la bonne godasse tout cuir cousu goodyear à la pompe semi-jetable en nylon à semelle moulée. Non seulement ce n'était technologiquement pas possible, mais si jamais ça l'avait été, jamais, même avec la meilleur volonté du monde, n'aurait-il pu concurrencer le coût de la main d'oeuvre du tiers-monde. Lancer un appel d'offre, c'était déjà envoyer le commissaire priseur et les convocations ANPE. Tous le savaient! Et sciemment, délibérément, ils l'ont fait.
Mais en fait, avaient-ils vraiment le choix? Car, si l'on y regarde bien, ce libéralisme criminel, ennemi de l'humanité, a des alliés puissants. Cette "concurrence libre et non faussée", c'est une injonction de Bruxelles, qui jamais n'aurait toléré que l'Etat, au lieu de lancer un appel d'offre aux mêmes conditions pour les français que pour le tiers-monde, travaille main dans la main avec Marbot, élabore un modèle en connaissance des besoins du terrain et des moyens technologiques, investisse, fasse son possible pour que les ouvriers soient formés aux nouvelles méthodes, que le travail et les compétences restent en France. On est coincé. La France joue contre elle-même. Elle a refermé sur elle-même la dame-de-fer qui sera vraisemblablement son tombeau.