mardi 28 septembre 2010

Coup de gueule

Vous remarquerez que mes derniers billets n'ont pas tellement abordé des thèmes politiques, sociaux, moraux, ou d'autre domaine classique dans lequel le réactionnaire online s'illustre. C'est que cela me lasse terriblement. On relit toujours les mêmes réflexions, les nouvelles funestes se suivent et se ressemblent dans une chute régulière vers le chaos social et moral, et au final rien de bouge de notre coté. C'est excessivement mal, mais je m'en lave les mains, d'autant que mes affaires personnelles me tiennent bien occupé. Plutôt que d'aborder ces sujets de front, ce qui est vain, répétitif, et ennuyeux, je vais continuer en poussant ma gueulante sur une autre exemple de la faillite française: le BM63.



Cette reine parmi les chaussures, qu'on appelle plus communément "LA ranjo", a été en réalité baptisé "brodequin de marche modèle 1963" par l'administration, qui a le sens de la formule et l'âme poétique. Pour ceux qui ne la connaitrait pas, c'est la fidèle godasse de l'armée française depuis... bah, un baille! Elle est en cuir grainé généralement de haute qualité, semelle cousue goodyear, donc resemellable, et toutes les autres coutures sont doubles ou quadruples, sauf celles de la languette, qui remontent jusqu'au dessus de la cheville, rendant la chaussure théoriquement étanche. Elle est l'hétitière directe du BMJA -pour brodequin de marche à jambière attenante- qui lui-même était une récupération du vieux brodequin qui s'arrêtait à la cheville qu'on a piqué aux ricains. C'est un modèle qui donc a vu virtuellement l'Indochine et l'Algérie, et effectivement le Tchad, la Côte d'Ivoire, le Kosovo, l'Afghanistan.

Pour personnellement les porter régulièrement, j'avoue qu'on est pas baisé. Aucune pompe sur le marché ne peut rivaliser en qualité et en solidité pour le prix auquel on les trouve quasiment neuves en surplus (entre 40 et 60E), voire en brocante (5 à 20E). C'était vraiment un motif de fierté nationale. Il fallait donc que ça change. Paraît-il, on se plaignait dans les compagnies: elles auraient fait mal aux pieds. Une fois qu'on y est fait, et avec les chaussettes adéquates, j'ai découvert que c'est plutôt l'exact opposé. Si toutefois l'on connait sa pointure, car trop serré c'est immettable, et trop grand ça transforme le pied en loque sanguinolente, du fait que le pied se balade dans l'espace laissé libre, provoquant friction, donc ampoules. Sans vouloir remettre en cause la valeur de nos soldats, je pense qu'il y en a qui auraient mieux fait de devenir coiffeurs. Mais je suspecte surtout qu'on se soit mis en haut lieu à les trouver trop archaïques.

Car aux USA, les modèles tout cuir ont été remplacés petit à petit par des jungle boots, au départ mis au point pour la guerre du Vietnam. Nos jungle boots à nous, c"étaient les pataugas comme on dit vulgairement (en réalité des Wissart et des Palladium), très souples, légers, respirants, particulièrement adaptées aux terrains instables, boueux, demandant une grande mobilité des chevilles, et pas cher à produire, mais "jetables". Le jungle boots sont entre la vrai rangers et la pataugas, puisque la semelle est moulée (pataugas), qu'il y a quand même souvent des pièces de cuir (rangers), qu'elles sont légères, respirantes et souples (pataugas), mais d'une fabrication assez soignée (rangers). C'est ainsi que sans grande modification, la jungle boots du Vietnam est devenue celle pour l'Irak ou l'Afghanistan. C'était impossible avec la pataugas, trop légère, trop souple, que le sable et les cailloux de ces zones arides auraient martyrisé. Alors, logiquement, on a doté nos soldats des bonnes vieilles rangers grainées.

Mais voilà, l'herbe est toujours plus verte ailleurs, surtout aux pieds des pantins que l'Oncle Sam envoi au casse pipe. Et alors qu'on garde le FAMAS qui ne peut même pas être approvisionné correctement avec des munitions alliées (la chambre et la culasse du FAMAS n'est pas exactement aux même dimensions ni avec les mêmes tolérances que celle du M4, ce qui provoque des enrayements plus fréquents), on s'est mis à trouver qu'il n'était pas tolérable, au vingt-et-unième siècle et au troisième millénaire, d'avoir encore des godasses en cuir, cousues goodyear, qu'on pouvait garder des années. Il fallait de la semelle moulée, du nylon partout, ou du cuir bien souple façon peau de bébé dans une pub pour rasoir électrique, et qui ne se garde pas deux ans. De la modernité, quoi! Cela est déjà en soi affligeant, mais le "meilleur" est à venir.

Si ces rangers réglo ont été rendues légendaires, c'est en grande partie grâce à leur grande qualité. En effet, elles étaient fabriquées par Marbot à Neuvic, en Dordogne. Cette entreprise vivait des commandes de l'armée, qui représentaient, si je ne m'abuse, plus de 60% de son chiffre d'affaire. En gros, chez Marbot, on savait surtout faire de la ranjo, et précisément de la BM65. Il y avait les machines et l'outillage pour ça, et des ouvriers qualifiés. Aussi, je suppose, quand l'Etat a fait un appel d'offre, Marbot n'a rien pu présenter de convaincant, à pouvoir produire rapidement et sans gros investissement. Résultat, nos soldats iront maintenant mourir en Afghanistan puis en Iran avec des saloperies faites en Tunisie aux pieds. Marbot a été liquidé, les machines bradées, les 73 employés au chômage, et presque un demi-siècle d'histoire et de tradition ont étés balayés d'un mouvement de poignet.

Etudions plus en détail les tenants et les aboutissants de cet échec de la France contre elle-même. D'une part, il y a cette volonté idéologique de "modernité" sous des prétextes fallacieux (comme si on se souciait des petons de mecs qu'on envoi mourir loin de leurs familles pour les intérêts des puissances étrangères). C'est entendu. Mais le germe du problème, la puanteur malsaine dans cette histoire, c'est la manière dont sont compris et appliqués les principes libéralistes contre les peuples. L'idéologie de la "concurrence libre et non faussée" a mis 73 travailleurs sur le carreau. Car en faisant un appel d'offre, et connaissant la situation de Marbot, c'était joué d'avance. Marbot ne pouvait pas, vu le créneau dans lequel il était engagé depuis des dizaines d'années, passer du jour au lendemain de la bonne godasse tout cuir cousu goodyear à la pompe semi-jetable en nylon à semelle moulée. Non seulement ce n'était technologiquement pas possible, mais si jamais ça l'avait été, jamais, même avec la meilleur volonté du monde, n'aurait-il pu concurrencer le coût de la main d'oeuvre du tiers-monde. Lancer un appel d'offre, c'était déjà envoyer le commissaire priseur et les convocations ANPE. Tous le savaient! Et sciemment, délibérément, ils l'ont fait.

Mais en fait, avaient-ils vraiment le choix? Car, si l'on y regarde bien, ce libéralisme criminel, ennemi de l'humanité, a des alliés puissants. Cette "concurrence libre et non faussée", c'est une injonction de Bruxelles, qui jamais n'aurait toléré que l'Etat, au lieu de lancer un appel d'offre aux mêmes conditions pour les français que pour le tiers-monde, travaille main dans la main avec Marbot, élabore un modèle en connaissance des besoins du terrain et des moyens technologiques, investisse, fasse son possible pour que les ouvriers soient formés aux nouvelles méthodes, que le travail et les compétences restent en France. On est coincé. La France joue contre elle-même. Elle a refermé sur elle-même la dame-de-fer qui sera vraisemblablement son tombeau.

samedi 11 septembre 2010

Le crime du siècle

Crime of the century est un album de Supertramp, sorti en 1974. Supertramp n'est certes pas un groupe réactionnaire, mais Roger Hodgson -que je considère, personnellement, comme l'âme du groupe- avait une importante sensibilité, et en cela était très humain, chose que le siècle veut faire disparaître. Si vous avez cet album, je vous conseille de vous le passer en même temps. Sinon, empruntez-le à la discothèque, ou à défaut, téléchargez-le. Prenez le temps de prendre le temps, et écouter du début à la fin un bon album est pour cela une agréable occasion.

Cet album s'ouvre sur la chanson School, dont on pourrait facilement dire qu'elle est de ton gauchiste, mais qui met plus généralement en garde sur la tendance à l'abrutissement, à l'anéantissement des individualités, des originalités, auquel mène l'éducation bourgeoise, devenue la norme. De manière générale, c'est une critique, certes un peu conventionnelle, mais qui fait une bonne introduction, de notre société étouffante pour les êtres humains. Cette société qui n'accepte ni guerrier, ni mystique, ni prêtre, ni artiste, ni la moindre forme d'imprévu, est finalement contre l'élan vital, créatif, bouillonnant, de la vie, dont l'homme est l'aboutissement aussi bien individuellement que collectivement. C'est tiraillé par sa nature aux milles facettes contradictoires, et s'en sortant par nécessité, que l'homme est Homme, et grandit.

Vient ensuite Bloody well right, que je comprends personnellement comme la critique de la petite mentalité gémiarde commune, qui se plaint souvent, qui se trouve des excuses, qui aime se sentir en droit de se plaindre. Mais ce mécontentement en réalité profondément légitime n'est pas compris de ceux même qui l'exprime, qui finalement tolèrent et supportent en gémiant, sans rien faire d'autre qu'aller se plaindre quelque part où ils savent qu'ils ne seront pas entendu, et sans même sentir qu'au fond, il y a bien plus en jeu que ce qu'ils imaginent.

Hide in your shell a pour moi une charge émotionnelle très forte, puisqu'elle me rappelle le plus bel et pur amour que mon coeur ait connu, mais qui évidement était inaccessible. Cette chanson raconte la sympathie, au sens le plus fort, que peut avoir un être pour un autre. Il comprend ses peines, ses doutes, ses regrets, ses hypocrisies, il voit en lui clairement, et veux porter avec lui l'existence, qui parfois est une charge. Il est question aussi de la barrière des convenances et d'une certaine forme de détachement qui nous éloigne des autres. On bloque même les sentiments bénéfiques, on bloque même le partage heureux, on bloque la joie, on bloque l'amour. Mais on en souffre, car quand on est dans la peine ou la difficulté, on attend fébrilement qu'une main se tende. Et quand c'est enfin le cas, par orgueil, on la repousse. Cette chanson est la prière de celui qui tend la main, qui tend l'amour, à celui qui devrait s'en saisir franchement, sans hésiter, au lieu de maintenir la distance, de rester dans cet isolement qui détruit.

Asylum est une chanson assez troublante, peu compréhensible à mon sens. Mais elle porte bien son nom. C'est clairement l'histoire d'un "fou" qu'on a coffré à l'asile, mais on ne sait pas vraiment pourquoi. Manifestement, il ne supportait pas son voisin quand il était encore dehors, le genre de voisin dont les seules phrases qu'on arrive à tirer sont: "Bonjour, comment allez-vous?", "Quel agréable après-midi!", "Pensez-vous qu'il va pleuvoir?" et "J'ai failli rater mon train". Je pense que ça rejoint un peu le thème de la chanson précédente sur l'idée qu'il est déraisonnable de vouloir un peu de chaleur humaine, ou même simplement d'avoir affaire à des humains, et non à des machines dépersonnalisées. Si des commentateurs plus habiles en anglais que moi pouvaient m'aider à saisir le sens exact -si toutefois il y en a un- de cette chanson, je leur serait reconnaissant.

Dans Dreamer, on nous appelle à rêver un peu, à ne pas se contenter du matériau disponible dans notre existence. Si l'on se retrouve souvent au pied du mur, sans plus se sentir capable de faire quoi que ce soit, c'est surtout par manque d'imagination. Si on avait rêvé un peu avant d'en arriver là, on aurait bien imaginé une autre issue, on aurait bien pu se la rendre accessible. Et celui qui se retrouve finalement au pied du mur se moque pourtant facilement du rêveur, lui se croit concret, pragmatique, réaliste, et méprise ce rêveur dont l'esprit vadrouille, mais est donc libre.

Rudy est dans un train vers nul part. Il passe dans la vie, il attend toujours, il se sent toujours avoir besoin de temps. Il ne veut pas se tromper, aussi se décide-t-il toujours trop tard, et l'occasion est passée. Il vit dans l'attente d'une joie qui est toujours à portée de main, mais qu'il ne sait pas saisir quand elle approche, et sa main se referme toujours sur du vide. Il sait ce qu'il devrait faire, comment il devrait être, il n'ignore rien de tout cela. Mais il est toujours très vite de retour dans son train. Paul connait un frère à Rudy: Nowhere Man. Combien sommes-nous à passer ainsi dans notre propre vie?

La scène est en place, les lumières sont éteintes, tout le monde est dans les coulisses, le rideau est prêt à être levé dans If everyone was listening. Mais personne ne sait vraiment quelle pièce va être jouée, quel rôle il y a, quel est son personnage, son costume, ses répliques. Mais la pièce se joue quand même. C'est le drame de notre existence que nous jouons sans y comprendre grand chose. On ne sait pas ce qu'on fait, on n'écoute personne, on saccage tout, on gâche tout, en croyant avoir bien fait. On s'est cru tout seul sur scène, on a cru qu'être acteur était suffisant. Mais le rideau tombe, et la pièce est jouée: qu'avons-nous fait?

Nous y sommes, nous allons découvrir qui a préparé le Crime du siècle. Mais il y a quelque chose qui cloche: c'est vous et moi.



SIÈCLE, subst. masc.
I. Espace de temps.
II. P. méton., au sing.
A. Ensemble de caractéristiques propres à un siècle, à une époque donnée.
B. RELIGION [Avec art. déf.]
2. Empl. abs.
a) Le monde et ses préoccupations temporelles (considérées comme frivoles, futiles, par opposition à la vie spirituelle, chrétienne).