lundi 22 novembre 2010

Du cas Marine Le Pen.

La droite nationale a quelques individus intéressants ou hauts en couleurs, mais dans le domaine politique, il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent. On sait que les De Villiers et les Dupont-Aignan, travaillant pour d'autres, peut-être d'ailleurs en toute innocence, ne peuvent être considérés de notre famille politique. Je n'entrerais pas dans le débat autour de ceux qui ont quitté le FN en claquant la porte, je ne connais pas assez ces histoires pour donner un avis. Loin de moi l'idée de rabaisser les Identitaires, dont le travail de terrain est notable et original, mais ils n'ont pas la crédibilité politique. Et aussi sulfureux et critiqué pouvait être E&R, Soral ayant annoncé son intention de raccrocher, il devrait se disloquer lentement. Enfin, le marginal Renaud Camus et son parti de l'In-nocence, dont la grande culture ne masquera pas le manque de charisme, et l'amateurisme politique.

Que reste-il? Il faut se rendre à l'évidence, la seule entité politique crédible en laquelle on peut se reconnaître, même si cela peut demander quelques contorsions, c'est le FN. Pas le FN de Jean-Marie, de Marine sa fille, de Gollnisch ou de quiconque, mais la "marque" FN, le symbole, le bulletin de vote qu'on retrouve partout en France et qui, tel Cambronne, dit "Merde!" à tous les autres. Le FN qui a fait pleurer les socialistes en 2002, et mis Jospin hors course. Le FN contre lequel des bédaveurs boutonneux à keffieh déroulent le crasseux tapis de leurs tignasses hydrophobes dans les rues de nos villes à l'appel du corps de fainéants le plus syndiqué de France. Le FN qui débonde les foudres de la bien-pensance, d'où s'écoulent à rythme soutenu des flots ininterrompus de formules aigres qui n'ont déjà que trop râpé nos palais pourtant peu difficiles -si seulement on en goûtait la lie, c'est qu'on arriverait à la fin! Ce FN, finalement, qui fait trembler de peur ou d'hystérie tous ceux qui ont en projet de nous réduire au silence, par le bâillon, la violence, la substitution, le métissage.

Mais on le sait, celui grâce à qui le FN est devenu ce qu'il est, Jean-Marie Le Pen, se fait trop âgé pour diriger le mouvement. J'attends patiemment que soient publiés ses mémoires, qui devraient être parmi les plus marquants et éclairants du demi-siècle, mais il faut reconnaître qu'à la tribune, il n'est plus celui qu'il était. Personne n'ignore que le congrès lors duquel se tiendra le vote pour élire son successeur à la tête du parti aura lieu à la mi-janvier, et les enjeux sont grands. Depuis quelques années, et plus intensément depuis quelques mois, j'étudie la question, et notamment la favorite, la fille du leader historique, Marine. Face à Bruno Gollnisch, elle représente une vision différente du Front National, changement de cap dont elle a déjà donné l'impulsion depuis plusieurs années. Dans ce billet, je me propose de partager mes réflexions et mes constats dans cette délicate polémique.

Marine a beaucoup pour elle. Elle est relativement jeune, elle a une image dynamique, et n'a physiquement rien à envier aux autres femmes qui sautent de ministère en commission. Elle a l'expression facilement virulente, et semble transmettre une colère qui vient des français eux-même. Elle n'a pas sa langue dans sa poche, et s'est retrouvé à accuser Polanski, Frédéric Mitterand et Cohn-Bendit de pédophilie à mots à peine couverts, à parler très durement de Sarkozy, à le mettre en cause dans le scandale en devenir que révèlera l'enquête sur les attentats de Karachi, si elle est menée sans que l'influence du président talonnettes ne soit trop sensible. Elle a une verve plaisante, c'est indéniable. Mais quand on a fini de s'émerveiller, on commence à se poser des questions. Doctrinalement, où va-t-elle? Au delà de ses gueulantes anti-gouvernementales, anti-syndicales, anti-islamistes, anti-mondialistes (sans jamais pousser très loin l'analyse, cependant), quelles valeurs fondent sa démarche, quel sens donne-t-elle à son combat, quelle est son idée de la France?

Et là, on se heurte à des réalités bien moins plaisantes. Car quand on analyse les discours et les interviews que son père donnait, on découvre une très haute idée de la France, une idée charnelle, naturelle, celle d'un fils de marin pêcheur bien français, qui a du trimer et suer, qui a pris les armes pour son pays, qui a fait preuve d'un dévouement sans borne, malgré un certain orgueil bien humain qui fait aussi la force de caractère du personnage. On découvre une intelligence supérieure, une capacité d'analyse hallucinante, une lucidité quasiment prophétique, et un talent oratoire que l'on a pas du entendre souvent depuis les plus grands maîtres de rhétorique de l'Athènes antique. Marine n'a pas ces convictions, cet amour naturel de la France, cette intelligence, ce don de savoir parler comme inspiré directement par Calliope. Elle sent un peu la fille de, qui a appris à barboter dans un lavabo, là où le père a lutté pour sa vie, traversant le grand océan en furie à la nage. Dans ses convictions, elle ressemble un peu à un singe ou un perroquet très savant, mais qui sans son dresseur se remettrait à grimper aux arbres ou à siffloter des airs légers.

Quel est son amour pour la France? Est-ce le sacrifice de sa personne pour rassembler ce qui jamais n'aurait du être dispersé ou séparé, et mener la chasse sans pitié aux capricornes qui rongent la charpente, aux champignons qui digèrent les fondations, aux cancrelats qui se terrent et pullulent?! Ou bien est-ce sa volonté de diriger le parti et de devenir présidente, élue sur un programme électoral validé par les voix usuelles de la démocratie?! Quelle est la France qu'elle aime? Celle des hommes et des femmes qui la constituent, comme d'un fil on fait un filet?! Ou bien celle des lois, des institutions, des constitutions, des principes sableux qui nous restent entre les doigts de pieds après la baignade?! Comment la veut-elle, cette France? Blanche, catholique, vivante de sa vie propre?! Ou bien laïque, républicaine, "sociale" (la manière pudique de dire invasive et incontournable)?! Et pour qui la veut-elle?

Je suis particulièrement frappé de l'énergie qu'elle déploie à vanter les mérites de la laïcité, et à marteler les valeurs de la république. Je comprendrais si cela n'était qu'un discours tactique, de dédiabolisation, mais il paraît évident que c'est réellement sa profession de foi. Ce n'est pas aux idiots de droite molle et du centre qu'elle fait la blague du billet attaché par une ficelle invisible, c'est à la droite nationale, catholique, authentiquement française qu'elle jette des os à ronger. Des petites racines chrétiennes de la France par-ci, une petite peine de mort par-là, une pincée sur tous les communautarismes, des jouets qui couinent et des frisbee à ramener. Paradoxalement, on dirait qu'elle se sent se compromettre à essayer de gagner l'électorat traditionnel du FN. Un peu comme un Indiana Jones, à la recherche d'un quelconque trésor aztec ou diamant gros comme le poing, prendrait le risque de s'appuyer sur le barreau pourri d'un pont de singe vétuste. Indéniablement, Marine se sent plus à l'aise devant la France entière, toute abreuvée de droits de l'homme, de drame de la Shoah, et de fin de l'histoire, que devant l'électorat FN qui a encore trop d'espérances, en la Patrie, en l'Eglise, en l'Ordre, en la France Éternelle, et qui a la volonté de pouvoir que cela se réalise un jour.

Certes, elle fait parfois l'objet d'attaques violentes, menées par des bas du front qui ne pourraient jurer être plus nets qu'elle sans transpirer, mais j'ai l'impression que ça l'arrange bien. Ainsi, au nom de l'aspiration naturelle d'union et d'entente qui est chère aux frontistes, suffisamment intelligents et instruits par l'expérience pour savoir que la division est un danger mortel, elle arrive à discréditer et ridiculiser par des procédés sophistiques toutes les critiques qui peuvent être exprimées à son encontre. Un des arguments que je considère particulièrement valable, c'est son extraordinaire présence dans les médias, qui pour plus d'un, moi compris, est suspecte. Elle sait que l'argument est dangereux pour elle, car il fait naître le doute. Aussi, cherche-t-elle à balayer cela: ceux qui porteraient contre elle cette accusation seraient des extrémistes abrutis, pour ne pas dire des traîtres, car ils sous-entendraient qu'un bon FN est un FN inaudible et sans crédibilité.

Elle prétend triompher dans les médias car les idées nationales passeraient de plus en plus à l'ordre du jour, se révélant vraies à tous. Sophismes! Car Gollnisch, dont on ne peut remettre en cause le patriotisme et l'attachement aux idées nationales, est lui complètement laissé sur le banc de touche. Quand on l'invite, c'est pour le faire parler de sa candidature à la tête du FN, on ne lui laisse jamais l'occasion de rentrer dans la doctrine, de participer à des débats avec des personnalités majeurs: il est proprement laissé sur la touche. Pourquoi à idées proches dans les grandes lignes, l'une est la petite coqueluche, et l'autre le bouche-trou méprisé? Le télégénisme de Marine est-il suffisant à expliquer cela? On aimerait le croire, sincèrement, mais quand on vote FN, c'est qu'on est pas tombé de la dernière pluie, et on sait l'ignominie du système.

On ne peut exclure que Marine puisse avoir des buts de carrière dépassant le cadre étriqué d'un combat pour la France de toujours, et son attachement à la laïcité et aux valeurs de la république équivaut quasiment à un serment d'allégeance. Dans un sens, on ne saurait trop l'en accabler: elle a vu son père trainé dans le boue comme peu d'innocents et d'honnêtes hommes ont pu l'être, malgré les efforts peu communs qu'il a déployé pour une juste et noble cause. Elle pourrait vouloir prendre revanche pour cet échec familial, plutôt que de perpétuer un combat qu'il n'est pas irrationnel de considérer perdu d'avance. On ne peut exclure qu'elle ait entendu des arguments d'une froide et calculatrice raison, plutôt que ceux d'une foi indéniablement très noble, mais sans grandes perspectives individuelles pour elle. On ne saurait exiger d'elle qu'elle porte la croix que son père a accepté de porter.

Car le combat national -j'ajoute:- et catholique, n'est pas qu'une question d'intérêts et de raison, c'est une question aussi morale et spirituelle. On y participe car on a une idée d'un bien, d'un ordre naturel des choses. Un de ces ordres apparemment matériel, mais que l'Église a toujours reconnu venir de Dieu pour le bien des hommes; l'ordre de la société étant une extension naturelle et bénéfique de l'ordre familial. Quelque part, on ne peut pas vraiment être de droite sans souhaiter une sorte de réenchantement du monde, contre une froideur inhumaine, une organisation mécanique, une mort de l'âme, de l'esprit et du coeur. Le patriote, même agnostique, découvrant la doctrine sociale de l'Église, s'écrit: "Mais voilà l'aboutissement de ce que j'ai toujours souhaité au fond de moi pour l'homme!" Il est simplement ému de trouver des mots d'humanité, d'une générosité bien pesée, d'un ordre juste, reposant sur une sagesse immense et une connaissance de la nature humaine inégalée, et portant un espoir pour l'homme qui dépasse les mots de la plus parfaite perfection. On ne peut y rester indifférent.