mercredi 1 décembre 2010

Qu'est-ce qu'on est bien... en France?

J'ai le goût du jeu. Aussi ais-je été intéressé par le petit "concours littéraire" sans prétention qui nous est proposé par notre Fourme préférée (de Montbrison, pour moi). Mais n'étant pas un grand adepte de l'écriture sur mouchoir ou post-it, la contrainte de longueur rend mon texte peu adéquat, aussi bien au "concours" en lui-même, qu'à la publication en commentaire. Je me permet donc de le poster ici, en mettant un lien dans les commentaires du billet cité plus haut.

Le 20h relaye l'information, brute, assortie d'un rapide reportage sur les conditions de la prise de cette décision. Mais pas une intervention d'homme politique, ni même d'analyse journalistique de l'évènement. Pendant trois jours, la France reste interdite, silencieuse. Les nouvelles du monde parviennent assourdies, comme si une épaisse bulle isolait les individus. Dans les cafés et les bars, on marmonne comme à l'accoutumée, en alternant les discussions sur la corruption, le temps qui change, et les chinois qui vont nous bouffer. La décision était attendue, on la sentait venir, mais la brutalité de l'entendre effectivement prise a mis même ceux qui s'en réjouissaient dans un silence plein de questions. Puis petit à petit, on s'est remis à parler. Il était évident qu'on ne pouvait pas faire comme si de rien n'était: le problème, de fond, était toujours là. Les plus téméraires parlaient de mise en échec de la Bête Immonde, ou au contraire de retour du totalitarisme, mais la grande majorité de la classe politique et des médias observaient une réserve gênée.

Au milieu des bafouillis, a commencé à émerger l'idée qu'il était temps de changer de constitution, radicalement. On s'est mis à parler de VIe République, d'un air peu convaincu. Mais ce furent Attali, Cohn-Bendit et Giscard qui, en direct, à Ce soir (ou jamais), émirent la proposition qui s'avéra remporter le plus grand succès: il fallait profiter de ce trou politique français pour commencer à construire un véritable état européen. L'accueil en Europe fut mitigé, notamment car l'urgence de la situation française impliquait des changements radicaux et très rapides, trop aux goûts de nombreux dirigeants. Mais suffisamment de personnes prirent part au congrès ad hoc, même de Grande Bretagne, pour qu'au bout de quelques mois, le plan d'action ait été décidé.

Mais la nation de Jeanne d'Arc avait encore sont mot à dire. Très vite après l'annonce de l'annulation des élections, et malgré sa langueur caractéristique, Renaud Camus quitta ses salons feutrés et la blancheur de ses livres. Les évènements historiques réveillaient un homme nouveau: il rasa sa barbe grisonnante, revendit tous ses biens, et s'acheta une Harley, ainsi que de nombreux cars et fourgonnettes. Son but était clair: il devait secouer la France. Il montait une croisade. Il s'était reconnu dans l'étrange et mystérieuse figure de Pierre l'Hermitte. Dans ses cars, il transportait ses Croisés, dont le nombre croissait à mesure qu'il avançait dans son tour de France. La police avait bien tenté de l'arrêter, mais ils étaient trop nombreux, et faisaient bloc. La crainte d'une émeute blanche, qui mettrait le feu à toute la poudrière française si toute mesure plus radicale était prise, avait convaincu les pouvoirs publics de faire ce qu'ils savent le mieux depuis 2005: l'autruche. En 40 jours, ils étaient déjà 150.000 à arpenter les routes comme une longue chenille, avec à leur tête Renaud Camus, qui se faisait appeler Renaud le Glaive, en référence à la célèbre phrase du Christ dans l'Évangile de Matthieu, sur son destrier de métal et de feu.

Ce retour du sacré, qui faisait de plus en plus d'adeptes parmi les descendants de chrétiens qui voyaient la crise démonter tout ce pour quoi leurs aïeux avaient abandonné la religion, ne pouvait laisser indifférent. Tariq Ramadan fut de plus en plus souvent invité des médias, qui voyaient d'un mauvais oeil la montée sur Paris de celui qu'on prenait jadis pour un insignifiant écrivain illuminé. La prose du maître de taqiya était limpide: cette crispation autour du christianisme historique et guerrier était la conséquence du discours sur le conflit de civilisation et l'identité nationale. Si l'on voulait mettre un terme à cette épopée d'un autre âge, il fallait faire une place plus grande aux musulmans, afin que leur présence partout dans la société dissolve ces restes archaïques. Il expliquait à mots à peine couverts les avantages qu'auraient pour les politiques une islamisation de la France organisée calmement par lui et ses élites musulmanes. Et il faisait planer la menace d'une même possibilité de repli religieux explosif des musulmans de France et d'Europe, et qui par contre pourrait conduire à l'ébranlement de tout le système en place. Ses arguments pertinents ne tombaient pas dans des oreilles sourdes. Sous-estimant ce qui a depuis été appelé la "résistance chrétienne", on donna carte blanche à Tariq Ramadan pour mettre de l'ordre parmi les musulmans, qui commençaient eux aussi à s'exciter, en leur promettant la France.

Du Vatican, Benoît XVI et ses conseillers ne savaient trop que penser. Ce retour au christianisme se faisant dans des formes qui leurs déplaisaient franchement, qui les ramenaient à l'époque d'une Église assez faible, sans unité. Mais d'un autre coté, ils ne pouvaient nier les progrès dangereux de l'Islam partout en Europe et en Afrique. Pourraient-ils récupérer et contrôler ce Renaud le Glaive? Quelle place leur laisserait un Islam conquérant? L'urgence de la situation exigeait une prise de position rapide. Après mures réflexions, mais surtout des heures et des heures de prière, le Pape, ayant tenu sa décision secrète, convoqua toute la presse d'Italie, et les agences internationales. C'est dans les applaudissement et les louanges immodérés des fidèles présents sur la place Saint-Pierre qu'il annonça, ex cathedra, sa bénédiction à Renaud le Glaive, et son soutien à la Reconquista. L'allocution, retransmise en direct tant les médias s'attendaient à la décision inverse, dans la plupart des pays de la chrétienté, souleva une vague de soulagement, de foi et d'espérance comme jamais dans l'histoire. C'était une liesse comparable à l'entrée de Jeanne d'Arc dans Orléans, mais à l'échelle européenne. Même les Protestants et une partie des Juifs hurlaient de joie. Ils survivront, nous survivrons: Déus lo veult! Cet appel résonnait à nouveau, inaugurant une nouvelle ère.

Alors que Renaud le Glaive et ses 750.000 Croisés inondaient les rues de la capitale, on eu droit à une scène étonnante: Thierry Ardisson, l'idiot cocaïnomane, courait torse nu devant la troupe métallique, criant, sans trop que l'on sache si c'était par conviction, overdose, ou pure sens du grand-guignol: "Vive le Roy, Vive la France!". La révolution chrétienne et patriotique s'étant en réalité répandue bien plus vite dans les coeurs que les Croisés sur les routes, toute la clique des Sarkozy, des Attali, des Bruni, des Cohn-Bendit, des Giscard, des Besancenot, des Fourest, des Ramadan, et autres nuisances, se sont heurtés à tous les obstacles, à tel point qu'ils n'ont pu fuir Paris. Au moment de l'entrée de Renaud, ils s'étaient tous terrés au Louvres, mais n'avaient pas la chance d'avoir la vénérable Garde Suisse pour les protéger comme Louis XVI l'avait eu au même endroit (ou presque) quelques 223 années plus tôt. Ils furent malmenés, bien tabassés, mais laissés vivants, en attente d'en faire quelque chose. Par un incroyable concours de circonstance, Renaud le Glaive, dont la mission était maintenant terminée, sacra Ardisson Roi des Français en la cathédrale Notre-Dame de Paris, puis s'évanouit dans la nature. Le nouveau roi fut applaudit, malgré de nombreuses réticences. Il ne fut pas le meilleur des rois, mais l'onction sacrée transforma le pêcheur Ardisson en Thierry IV, et depuis ce jour, il a fait oublier l'homme qu'il fut jadis. Il gracia les traîtres épargnés, et interdit formellement qu'on leur fit du mal. Leur malheur serait de porter leur passé et leur honte, et de vivre des aumônes et de la générosité de ceux qu'ils méprisèrent.

J'avoue que c'est plus de la science-fiction que de l'anticipation, hélas...

lundi 22 novembre 2010

Du cas Marine Le Pen.

La droite nationale a quelques individus intéressants ou hauts en couleurs, mais dans le domaine politique, il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent. On sait que les De Villiers et les Dupont-Aignan, travaillant pour d'autres, peut-être d'ailleurs en toute innocence, ne peuvent être considérés de notre famille politique. Je n'entrerais pas dans le débat autour de ceux qui ont quitté le FN en claquant la porte, je ne connais pas assez ces histoires pour donner un avis. Loin de moi l'idée de rabaisser les Identitaires, dont le travail de terrain est notable et original, mais ils n'ont pas la crédibilité politique. Et aussi sulfureux et critiqué pouvait être E&R, Soral ayant annoncé son intention de raccrocher, il devrait se disloquer lentement. Enfin, le marginal Renaud Camus et son parti de l'In-nocence, dont la grande culture ne masquera pas le manque de charisme, et l'amateurisme politique.

Que reste-il? Il faut se rendre à l'évidence, la seule entité politique crédible en laquelle on peut se reconnaître, même si cela peut demander quelques contorsions, c'est le FN. Pas le FN de Jean-Marie, de Marine sa fille, de Gollnisch ou de quiconque, mais la "marque" FN, le symbole, le bulletin de vote qu'on retrouve partout en France et qui, tel Cambronne, dit "Merde!" à tous les autres. Le FN qui a fait pleurer les socialistes en 2002, et mis Jospin hors course. Le FN contre lequel des bédaveurs boutonneux à keffieh déroulent le crasseux tapis de leurs tignasses hydrophobes dans les rues de nos villes à l'appel du corps de fainéants le plus syndiqué de France. Le FN qui débonde les foudres de la bien-pensance, d'où s'écoulent à rythme soutenu des flots ininterrompus de formules aigres qui n'ont déjà que trop râpé nos palais pourtant peu difficiles -si seulement on en goûtait la lie, c'est qu'on arriverait à la fin! Ce FN, finalement, qui fait trembler de peur ou d'hystérie tous ceux qui ont en projet de nous réduire au silence, par le bâillon, la violence, la substitution, le métissage.

Mais on le sait, celui grâce à qui le FN est devenu ce qu'il est, Jean-Marie Le Pen, se fait trop âgé pour diriger le mouvement. J'attends patiemment que soient publiés ses mémoires, qui devraient être parmi les plus marquants et éclairants du demi-siècle, mais il faut reconnaître qu'à la tribune, il n'est plus celui qu'il était. Personne n'ignore que le congrès lors duquel se tiendra le vote pour élire son successeur à la tête du parti aura lieu à la mi-janvier, et les enjeux sont grands. Depuis quelques années, et plus intensément depuis quelques mois, j'étudie la question, et notamment la favorite, la fille du leader historique, Marine. Face à Bruno Gollnisch, elle représente une vision différente du Front National, changement de cap dont elle a déjà donné l'impulsion depuis plusieurs années. Dans ce billet, je me propose de partager mes réflexions et mes constats dans cette délicate polémique.

Marine a beaucoup pour elle. Elle est relativement jeune, elle a une image dynamique, et n'a physiquement rien à envier aux autres femmes qui sautent de ministère en commission. Elle a l'expression facilement virulente, et semble transmettre une colère qui vient des français eux-même. Elle n'a pas sa langue dans sa poche, et s'est retrouvé à accuser Polanski, Frédéric Mitterand et Cohn-Bendit de pédophilie à mots à peine couverts, à parler très durement de Sarkozy, à le mettre en cause dans le scandale en devenir que révèlera l'enquête sur les attentats de Karachi, si elle est menée sans que l'influence du président talonnettes ne soit trop sensible. Elle a une verve plaisante, c'est indéniable. Mais quand on a fini de s'émerveiller, on commence à se poser des questions. Doctrinalement, où va-t-elle? Au delà de ses gueulantes anti-gouvernementales, anti-syndicales, anti-islamistes, anti-mondialistes (sans jamais pousser très loin l'analyse, cependant), quelles valeurs fondent sa démarche, quel sens donne-t-elle à son combat, quelle est son idée de la France?

Et là, on se heurte à des réalités bien moins plaisantes. Car quand on analyse les discours et les interviews que son père donnait, on découvre une très haute idée de la France, une idée charnelle, naturelle, celle d'un fils de marin pêcheur bien français, qui a du trimer et suer, qui a pris les armes pour son pays, qui a fait preuve d'un dévouement sans borne, malgré un certain orgueil bien humain qui fait aussi la force de caractère du personnage. On découvre une intelligence supérieure, une capacité d'analyse hallucinante, une lucidité quasiment prophétique, et un talent oratoire que l'on a pas du entendre souvent depuis les plus grands maîtres de rhétorique de l'Athènes antique. Marine n'a pas ces convictions, cet amour naturel de la France, cette intelligence, ce don de savoir parler comme inspiré directement par Calliope. Elle sent un peu la fille de, qui a appris à barboter dans un lavabo, là où le père a lutté pour sa vie, traversant le grand océan en furie à la nage. Dans ses convictions, elle ressemble un peu à un singe ou un perroquet très savant, mais qui sans son dresseur se remettrait à grimper aux arbres ou à siffloter des airs légers.

Quel est son amour pour la France? Est-ce le sacrifice de sa personne pour rassembler ce qui jamais n'aurait du être dispersé ou séparé, et mener la chasse sans pitié aux capricornes qui rongent la charpente, aux champignons qui digèrent les fondations, aux cancrelats qui se terrent et pullulent?! Ou bien est-ce sa volonté de diriger le parti et de devenir présidente, élue sur un programme électoral validé par les voix usuelles de la démocratie?! Quelle est la France qu'elle aime? Celle des hommes et des femmes qui la constituent, comme d'un fil on fait un filet?! Ou bien celle des lois, des institutions, des constitutions, des principes sableux qui nous restent entre les doigts de pieds après la baignade?! Comment la veut-elle, cette France? Blanche, catholique, vivante de sa vie propre?! Ou bien laïque, républicaine, "sociale" (la manière pudique de dire invasive et incontournable)?! Et pour qui la veut-elle?

Je suis particulièrement frappé de l'énergie qu'elle déploie à vanter les mérites de la laïcité, et à marteler les valeurs de la république. Je comprendrais si cela n'était qu'un discours tactique, de dédiabolisation, mais il paraît évident que c'est réellement sa profession de foi. Ce n'est pas aux idiots de droite molle et du centre qu'elle fait la blague du billet attaché par une ficelle invisible, c'est à la droite nationale, catholique, authentiquement française qu'elle jette des os à ronger. Des petites racines chrétiennes de la France par-ci, une petite peine de mort par-là, une pincée sur tous les communautarismes, des jouets qui couinent et des frisbee à ramener. Paradoxalement, on dirait qu'elle se sent se compromettre à essayer de gagner l'électorat traditionnel du FN. Un peu comme un Indiana Jones, à la recherche d'un quelconque trésor aztec ou diamant gros comme le poing, prendrait le risque de s'appuyer sur le barreau pourri d'un pont de singe vétuste. Indéniablement, Marine se sent plus à l'aise devant la France entière, toute abreuvée de droits de l'homme, de drame de la Shoah, et de fin de l'histoire, que devant l'électorat FN qui a encore trop d'espérances, en la Patrie, en l'Eglise, en l'Ordre, en la France Éternelle, et qui a la volonté de pouvoir que cela se réalise un jour.

Certes, elle fait parfois l'objet d'attaques violentes, menées par des bas du front qui ne pourraient jurer être plus nets qu'elle sans transpirer, mais j'ai l'impression que ça l'arrange bien. Ainsi, au nom de l'aspiration naturelle d'union et d'entente qui est chère aux frontistes, suffisamment intelligents et instruits par l'expérience pour savoir que la division est un danger mortel, elle arrive à discréditer et ridiculiser par des procédés sophistiques toutes les critiques qui peuvent être exprimées à son encontre. Un des arguments que je considère particulièrement valable, c'est son extraordinaire présence dans les médias, qui pour plus d'un, moi compris, est suspecte. Elle sait que l'argument est dangereux pour elle, car il fait naître le doute. Aussi, cherche-t-elle à balayer cela: ceux qui porteraient contre elle cette accusation seraient des extrémistes abrutis, pour ne pas dire des traîtres, car ils sous-entendraient qu'un bon FN est un FN inaudible et sans crédibilité.

Elle prétend triompher dans les médias car les idées nationales passeraient de plus en plus à l'ordre du jour, se révélant vraies à tous. Sophismes! Car Gollnisch, dont on ne peut remettre en cause le patriotisme et l'attachement aux idées nationales, est lui complètement laissé sur le banc de touche. Quand on l'invite, c'est pour le faire parler de sa candidature à la tête du FN, on ne lui laisse jamais l'occasion de rentrer dans la doctrine, de participer à des débats avec des personnalités majeurs: il est proprement laissé sur la touche. Pourquoi à idées proches dans les grandes lignes, l'une est la petite coqueluche, et l'autre le bouche-trou méprisé? Le télégénisme de Marine est-il suffisant à expliquer cela? On aimerait le croire, sincèrement, mais quand on vote FN, c'est qu'on est pas tombé de la dernière pluie, et on sait l'ignominie du système.

On ne peut exclure que Marine puisse avoir des buts de carrière dépassant le cadre étriqué d'un combat pour la France de toujours, et son attachement à la laïcité et aux valeurs de la république équivaut quasiment à un serment d'allégeance. Dans un sens, on ne saurait trop l'en accabler: elle a vu son père trainé dans le boue comme peu d'innocents et d'honnêtes hommes ont pu l'être, malgré les efforts peu communs qu'il a déployé pour une juste et noble cause. Elle pourrait vouloir prendre revanche pour cet échec familial, plutôt que de perpétuer un combat qu'il n'est pas irrationnel de considérer perdu d'avance. On ne peut exclure qu'elle ait entendu des arguments d'une froide et calculatrice raison, plutôt que ceux d'une foi indéniablement très noble, mais sans grandes perspectives individuelles pour elle. On ne saurait exiger d'elle qu'elle porte la croix que son père a accepté de porter.

Car le combat national -j'ajoute:- et catholique, n'est pas qu'une question d'intérêts et de raison, c'est une question aussi morale et spirituelle. On y participe car on a une idée d'un bien, d'un ordre naturel des choses. Un de ces ordres apparemment matériel, mais que l'Église a toujours reconnu venir de Dieu pour le bien des hommes; l'ordre de la société étant une extension naturelle et bénéfique de l'ordre familial. Quelque part, on ne peut pas vraiment être de droite sans souhaiter une sorte de réenchantement du monde, contre une froideur inhumaine, une organisation mécanique, une mort de l'âme, de l'esprit et du coeur. Le patriote, même agnostique, découvrant la doctrine sociale de l'Église, s'écrit: "Mais voilà l'aboutissement de ce que j'ai toujours souhaité au fond de moi pour l'homme!" Il est simplement ému de trouver des mots d'humanité, d'une générosité bien pesée, d'un ordre juste, reposant sur une sagesse immense et une connaissance de la nature humaine inégalée, et portant un espoir pour l'homme qui dépasse les mots de la plus parfaite perfection. On ne peut y rester indifférent.

mercredi 13 octobre 2010

One for the vine.

Je suis un grand fan de Genesis. Selon moi, ils ont vraiment apporté quelque chose à la musique. Contrairement à une grosse partie de ce qui est sorti du "rock", ils ont su composer. Bien sûr, le départ de Peter Gabriel a été un coup dur, et petit à petit le groupe est devenu commercial et sans grande originalité, à mon avis sous la pression de Phil Collins, qui n'est pas très créatif. Mais les premiers albums post-Gabriel sont encore tout à fait acceptables. Duke marque le changement de style et de mentalité. Mais à mon propre étonnement, c'est dans un album post-Gabriel, Wind & Wuthering, que je trouve un de mes morceaux préférés, composé par Tony Banks: One for the vine:




Fifty thousand men were sent to do the will of one.
Cinq mille hommes furent envoyés pour accomplir la volonté d'un seul.
His claim was phrased quite simply, though he never voiced it loud,
Sa prétention se résumait facilement, bien que jamais il ne l'exprima,
I am he, the chosen one.
C'est moi, je suis l'élu.

*

In his name they could slaughter, for his name they could die.
En son nom ils pouvaient tuer, pour son nom ils pouvaient mourir.
Though many there were believed in him,
Et bien qu'ils étaient nombreux à croire en lui,
Still more were sure he lied,
Plus encore étaient persuadés qu'il mentait,
But they'll fight the battle on.
Mais ils iraient au combat.

*

Then one whose faith had died
Un qui avait perdu la foi
Fled back up the mountainside,
S'enfuit vers la montagne,
But before the top was made,
Mais avant qu'il n'atteigne le sommet,
A misplaced footfall made him stray
Un pas mal placé le fit s'écarter
From the path prepared for him.
Du chemin pour lui préparé.
Off of the mountain,
De la montagne,
On to a wilderness of ice.
À une étendue de glace.

*

This unexpected vision made him stand and shake with fear,
Cette vision inattendue le fit se lever et trembler de peur,
But nothing was his fright compared with those who saw him appear.
Mais son effroi n'était rien comparé à celui de ceux qui le virent apparaître.
Terror filled their minds with awe.
Une grande terreur emplit leurs esprits abasourdis.

*


Simple were the folk who lived
Simple était le peuple qui vivait
Upon this frozen wave.
Sur cette onde glacée.
So not surprising was their thought,
Aussi n'est-il pas étonnant qu'ils pensèrent:
This is he, God's chosen one,
"Le voici, l'élu de Dieu
Who's come to save us from
"Qui est venu pour nous sauver
All our oppressors.
"De nos oppresseurs.
We shall be kings on this world.
"Nous serons rois de ce monde."

*

Follow me!
Suivez-moi!
I'll play the game you want me,
Je ferais ce que vous attendez de moi,
Until I find a way back home.
Jusqu'à ce que je puisse rentrer chez moi.

*

Follow me!
Suivez-moi!
I give you strength inside you,
Je vous donnerais la force intérieure,
Courage to win your battles -
Le courage pour gagner vos batailles -

*

No, no, no, this can't go on,
Non, non, non, ça ne peut pas continuer,
This will be all that I fled from.
Çe sera exactement ce que j'ai fuis.
Let me rest for a while.
Laissez-moi me reposer un moment.

*

He walked into a valley,
Il alla marcher dans une vallée,
All alone.
Sans personne.
There he talked with water, and then with the vine.
Et il y discuta avec l'eau, puis avec la vigne.

*

They leave me no choice.
Ils ne me laissent pas le choix.
I must lead them to glory or most likely to death.
Je dois les mener à la gloire, ou plus certainement à la mort.

*

They traveled cross the plateau of ice, up to its edge.
Ils parcoururent le plateau glacé, jusqu'à sa bordure.
Then they crossed a mountain range and saw the final plain.
Puis ils traversèrent des montagnes, et virent la plaine finale.
Still he urged the people on.
Et il continuait à pousser ses gens.

*

Then, on a distant slope,
Enfin, sur une pente lointaine,
He observed one without hope
Il en vit un ayant perdu espoir
Flee back up the mountainside.
Fuir vers le flanc de la montagne.
He thought he recognised him by his walk,
Il pensa le reconnaître par sa marche,
And by the way he fell,
Et par sa chute,
And by the way he
Et par la manière dont il
Stood up, and vanished into air.
Se releva, et disparu complètement.

***

Certains y voient une critique des dictateurs et de la crédulité des foules, voire de Jésus, et de l'Église sous prétexte qu'elle poussa aux Croisades. D'autres soutiennent que ces paroles raconteraient une sorte d'histoire en boucle, où un homme se trouverait pris dans l'histoire qu'il créé. Personnellement, je pense que ce n'est pas aussi simple.

Dans cette chanson, j'entends toute la vanité pathétique de l'existence humaine, la manière dont le sort se joue de nous. Car "l'élu", un jour lui-même habitant misérable, est devenu soldat malgré lui, animé d'une foi factice qui s'effaça bien vite. Il était perdu, loin de chez lui, quand il tombe nez à nez avec cette population qui l'acclame et le fait se sentir important, bien qu'il garde sa distance, et ne fasse tout ça que pour rentrer chez lui, où il retrouvera sa petite place parmi la foule. Prenant soudainement conscience qu'il ne doit pas reproduire ce qui l'a lui-même mis dans cette situation, il se sent tiraillé entre l'attente de ces gens si simples et crédules, qui jamais ne comprendraient qu'il ne soit pas celui qu'ils ont cru voir en lui; et sa propre situation, son désir simple de rentrer chez lui, de retrouver là-bas ce qu'il a du quitter dans les mêmes conditions que le peuple des glaces s'apprête à le faire à sa suite.

Il le sait, c'est tracé, il doit les emmener à la mort comme lui-même y a été emmené. Il renonce à revenir un jour chez lui retrouver sa vie d'avant, et en même temps il sait qu'il les mène à la destruction, au malheur et à la mort. Mais leur espoir ne lui laisse pas d'autre choix. Paradoxalement, il sait que le sens qu'ils viennent de trouver à leur existence les conduit tous, lui inclut, à la mort. Quelle vanité, quel sinistre jeu le sort mène avec nos pauvres carcasses, nos rêves et nos espoirs! Ô créature pathétique, voit où ton destin te mène!

L'élu, résigné, conscient qu'il n'y a aucune échappatoire, dirige la troupe et mène l'assaut, au moins aura-t-il accompli son destin. Mais se retournant, il découvre un autre lui-même, un autre élu en devenir, et il réalise, il comprend soudainement l'absolu vanité de toute son existence, depuis le jour où l'élu est arrivé dans son propre village. Jamais ne cessera ce cycle insensé, jamais le monde ne sera à court d'élus et d'espoirs indécevables menant à la destruction et à la mort. Et un énième paumé, pris dans les engrenages du destin, ayant pour seul souhait de retrouver une vie tranquille, se mettra à guider à la mort une population misérable qui vit de l'espoir d'être guidé à la victoire. Et tout le monde aura tout perdu, et ça recommencera encore, et encore, et encore. C'est le drame de l'homme que raconte cette chanson, c'est l'histoire des conquêtes, des gloires, des décadences et des ruines, l'histoire des amitiés et des traîtrises, du courage et de la peur, de l'amour et de la haine, de l'espoir et de la mort.

Petites choses que nous sommes, sans prise et sans repaire, inconscients rassurés par notre cécité, ballotés par le sort.

Mais tout doux maintenant.

Et ça finit sur un air de piano mélancolique...