Crime of the century est un album de Supertramp, sorti en 1974. Supertramp n'est certes pas un groupe réactionnaire, mais Roger Hodgson -que je considère, personnellement, comme l'âme du groupe- avait une importante sensibilité, et en cela était très humain, chose que le siècle veut faire disparaître. Si vous avez cet album, je vous conseille de vous le passer en même temps. Sinon, empruntez-le à la discothèque, ou à défaut, téléchargez-le. Prenez le temps de prendre le temps, et écouter du début à la fin un bon album est pour cela une agréable occasion.
Cet album s'ouvre sur la chanson School, dont on pourrait facilement dire qu'elle est de ton gauchiste, mais qui met plus généralement en garde sur la tendance à l'abrutissement, à l'anéantissement des individualités, des originalités, auquel mène l'éducation bourgeoise, devenue la norme. De manière générale, c'est une critique, certes un peu conventionnelle, mais qui fait une bonne introduction, de notre société étouffante pour les êtres humains. Cette société qui n'accepte ni guerrier, ni mystique, ni prêtre, ni artiste, ni la moindre forme d'imprévu, est finalement contre l'élan vital, créatif, bouillonnant, de la vie, dont l'homme est l'aboutissement aussi bien individuellement que collectivement. C'est tiraillé par sa nature aux milles facettes contradictoires, et s'en sortant par nécessité, que l'homme est Homme, et grandit.
Vient ensuite Bloody well right, que je comprends personnellement comme la critique de la petite mentalité gémiarde commune, qui se plaint souvent, qui se trouve des excuses, qui aime se sentir en droit de se plaindre. Mais ce mécontentement en réalité profondément légitime n'est pas compris de ceux même qui l'exprime, qui finalement tolèrent et supportent en gémiant, sans rien faire d'autre qu'aller se plaindre quelque part où ils savent qu'ils ne seront pas entendu, et sans même sentir qu'au fond, il y a bien plus en jeu que ce qu'ils imaginent.
Hide in your shell a pour moi une charge émotionnelle très forte, puisqu'elle me rappelle le plus bel et pur amour que mon coeur ait connu, mais qui évidement était inaccessible. Cette chanson raconte la sympathie, au sens le plus fort, que peut avoir un être pour un autre. Il comprend ses peines, ses doutes, ses regrets, ses hypocrisies, il voit en lui clairement, et veux porter avec lui l'existence, qui parfois est une charge. Il est question aussi de la barrière des convenances et d'une certaine forme de détachement qui nous éloigne des autres. On bloque même les sentiments bénéfiques, on bloque même le partage heureux, on bloque la joie, on bloque l'amour. Mais on en souffre, car quand on est dans la peine ou la difficulté, on attend fébrilement qu'une main se tende. Et quand c'est enfin le cas, par orgueil, on la repousse. Cette chanson est la prière de celui qui tend la main, qui tend l'amour, à celui qui devrait s'en saisir franchement, sans hésiter, au lieu de maintenir la distance, de rester dans cet isolement qui détruit.
Asylum est une chanson assez troublante, peu compréhensible à mon sens. Mais elle porte bien son nom. C'est clairement l'histoire d'un "fou" qu'on a coffré à l'asile, mais on ne sait pas vraiment pourquoi. Manifestement, il ne supportait pas son voisin quand il était encore dehors, le genre de voisin dont les seules phrases qu'on arrive à tirer sont: "Bonjour, comment allez-vous?", "Quel agréable après-midi!", "Pensez-vous qu'il va pleuvoir?" et "J'ai failli rater mon train". Je pense que ça rejoint un peu le thème de la chanson précédente sur l'idée qu'il est déraisonnable de vouloir un peu de chaleur humaine, ou même simplement d'avoir affaire à des humains, et non à des machines dépersonnalisées. Si des commentateurs plus habiles en anglais que moi pouvaient m'aider à saisir le sens exact -si toutefois il y en a un- de cette chanson, je leur serait reconnaissant.
Dans Dreamer, on nous appelle à rêver un peu, à ne pas se contenter du matériau disponible dans notre existence. Si l'on se retrouve souvent au pied du mur, sans plus se sentir capable de faire quoi que ce soit, c'est surtout par manque d'imagination. Si on avait rêvé un peu avant d'en arriver là, on aurait bien imaginé une autre issue, on aurait bien pu se la rendre accessible. Et celui qui se retrouve finalement au pied du mur se moque pourtant facilement du rêveur, lui se croit concret, pragmatique, réaliste, et méprise ce rêveur dont l'esprit vadrouille, mais est donc libre.
Rudy est dans un train vers nul part. Il passe dans la vie, il attend toujours, il se sent toujours avoir besoin de temps. Il ne veut pas se tromper, aussi se décide-t-il toujours trop tard, et l'occasion est passée. Il vit dans l'attente d'une joie qui est toujours à portée de main, mais qu'il ne sait pas saisir quand elle approche, et sa main se referme toujours sur du vide. Il sait ce qu'il devrait faire, comment il devrait être, il n'ignore rien de tout cela. Mais il est toujours très vite de retour dans son train. Paul connait un frère à Rudy: Nowhere Man. Combien sommes-nous à passer ainsi dans notre propre vie?
La scène est en place, les lumières sont éteintes, tout le monde est dans les coulisses, le rideau est prêt à être levé dans If everyone was listening. Mais personne ne sait vraiment quelle pièce va être jouée, quel rôle il y a, quel est son personnage, son costume, ses répliques. Mais la pièce se joue quand même. C'est le drame de notre existence que nous jouons sans y comprendre grand chose. On ne sait pas ce qu'on fait, on n'écoute personne, on saccage tout, on gâche tout, en croyant avoir bien fait. On s'est cru tout seul sur scène, on a cru qu'être acteur était suffisant. Mais le rideau tombe, et la pièce est jouée: qu'avons-nous fait?
Nous y sommes, nous allons découvrir qui a préparé le Crime du siècle. Mais il y a quelque chose qui cloche: c'est vous et moi.
SIÈCLE, subst. masc.
I. Espace de temps.
II. P. méton., au sing.
A. Ensemble de caractéristiques propres à un siècle, à une époque donnée.
B. RELIGION [Avec art. déf.]
2. Empl. abs.
a) Le monde et ses préoccupations temporelles (considérées comme frivoles, futiles, par opposition à la vie spirituelle, chrétienne).
samedi 11 septembre 2010
lundi 30 août 2010
Eloge de la campagne.
Samedi soir, il y avait un petit festival local de musique traditionnelle (bretonne et auvergnate) dans mon coin du Puy-de-Dôme. C'était en plein air, avec une buvette, tout était géré par des bénévoles, le genre de petit évènement bien sympathique. Il y a eu au maximum 300 personnes qui sont venues, la plupart du coin. Des gens normaux. Des gens de la campagne. Sur la petite scène mobile, les groupes traditionnels qui se sont succédés, avec des prestations tout à fait acceptables pour la circonstance, jouaient de la musique à danser. Et, miracle: les gens dansaient! Quelque uns savaient ce qu'ils faisaient, mais la majorité se laissait entraîner, suivant leurs voisins et leur compagnons de danse, ou peut-être de vagues souvenirs. Les cercles circassiens étaient un peu chaotiques, les bourrées approximatives, les cadences anarchiques, mais on dansait. Si, si: des français dansaient! Il y avait des jeunes, il y avait des vieux. Il y avait des grands, il y avait des petits. Il y avait des masses, il y avait des brindilles. Il y avait des couples, il y avait des célibataires. Il y avait des amis, il y avait des inconnus. Il y avait même deux lesbiennes en saroual et une asiatique! Mais tous, ils dansaient au son de cette musique.
J''étais intérieurement ému à cette vision. Non pas car c'était une manifestation de "solidarité" ou de "tolérance", encore moins parce que c'était festif et citoyen, mais parce que c'était humain. Quand on a grandi en région parisienne, on est pas tellement habitué à voir cela. Il est vrai que je n'ai jamais vécu dans d'autres grandes villes, mais je crois voir apparaître un importante dichotomie: entre la ville et la campagne, ou du moins la province. Bien sûr, c'est un simplification outrancière -j'habite d'ailleurs dans une ville de province- mais pour penser, il faut bien commencer par modéliser. La campagne est globalement homogène, lente au changement, concrète et pragmatique. La ville est cosmopolite, s'enorgueillit de suivre toutes les modes et tendances, s'attache aux idées, aux concepts, aux doctrines. La ville produit des manifestants, la campagne des résistants. La ville est "tolérante" par nature, puisqu'elle est multiculturelle, de fait elle désintègre. La campagne est "raciste" et "xénophobe" par tradition, donc elle assimile. En réalité, la ville est tolérante à l'étrangeté, pas à l'étranger; la ville se partage en communautés: de classe sociale, d'origine, d'activité, de moeurs et de culture. La campagne rejette l'Islam et l'homosexualité, mais elle accepte les musulmans et les homosexuels, elle les admet en son sein s'ils veulent en faire partie. A la ville, on prêche la laïcité et l'égalité de traitement de toutes les opinions, mais on subventionne la gay-pride et l'on organise de grandes fêtes pour l'Aïd. A la campagne, on aime pas bien les pédés et les Ben Laden, mais les premiers sont libres de leurs ébats et les seconds de faire le ramadan, seulement on ne leur concède pas le droit à l'existence communautaire publique.
La campagne n'est pas un refuge identitaire -on y trouvera peu de gens bien informés et radicaux dans leurs opinions-, mais elle est un foyer d'humanité réelle dans une civilisation urbaine décadente et suicidaire. Il n'y a qu'à la campagne qu'on fait encore danser ensemble jeunes et vieux, grands et petits, masses et brindilles, couples et célibataires, amis et inconnus, et même des lesbiennes et une asiatique, au son du biniou ou sur une bourrée à la cabrette et à l'accordéon. C'est à la campagne que se manifestent les hautes vertus civilisatrices de la tradition.
J''étais intérieurement ému à cette vision. Non pas car c'était une manifestation de "solidarité" ou de "tolérance", encore moins parce que c'était festif et citoyen, mais parce que c'était humain. Quand on a grandi en région parisienne, on est pas tellement habitué à voir cela. Il est vrai que je n'ai jamais vécu dans d'autres grandes villes, mais je crois voir apparaître un importante dichotomie: entre la ville et la campagne, ou du moins la province. Bien sûr, c'est un simplification outrancière -j'habite d'ailleurs dans une ville de province- mais pour penser, il faut bien commencer par modéliser. La campagne est globalement homogène, lente au changement, concrète et pragmatique. La ville est cosmopolite, s'enorgueillit de suivre toutes les modes et tendances, s'attache aux idées, aux concepts, aux doctrines. La ville produit des manifestants, la campagne des résistants. La ville est "tolérante" par nature, puisqu'elle est multiculturelle, de fait elle désintègre. La campagne est "raciste" et "xénophobe" par tradition, donc elle assimile. En réalité, la ville est tolérante à l'étrangeté, pas à l'étranger; la ville se partage en communautés: de classe sociale, d'origine, d'activité, de moeurs et de culture. La campagne rejette l'Islam et l'homosexualité, mais elle accepte les musulmans et les homosexuels, elle les admet en son sein s'ils veulent en faire partie. A la ville, on prêche la laïcité et l'égalité de traitement de toutes les opinions, mais on subventionne la gay-pride et l'on organise de grandes fêtes pour l'Aïd. A la campagne, on aime pas bien les pédés et les Ben Laden, mais les premiers sont libres de leurs ébats et les seconds de faire le ramadan, seulement on ne leur concède pas le droit à l'existence communautaire publique.
La campagne n'est pas un refuge identitaire -on y trouvera peu de gens bien informés et radicaux dans leurs opinions-, mais elle est un foyer d'humanité réelle dans une civilisation urbaine décadente et suicidaire. Il n'y a qu'à la campagne qu'on fait encore danser ensemble jeunes et vieux, grands et petits, masses et brindilles, couples et célibataires, amis et inconnus, et même des lesbiennes et une asiatique, au son du biniou ou sur une bourrée à la cabrette et à l'accordéon. C'est à la campagne que se manifestent les hautes vertus civilisatrices de la tradition.
vendredi 20 août 2010
De la démocratie (et digressions)
Tout d'abord, je tiens à remercier mes trois commentateurs, à qui je n'ai pas su répondre car je ne suis par averti par mail des commentaires. J'écris ce nouveau billet sur une saute d'humeur, et voyant qu'il y a quand même eu quelques consultations.
C'est un classique incontournable de la réacosphère que de mettre son petit coup de tatane dans les flancs de la démocratie agonisante, aussi ne saurais-je y manquer, malgré le caractère particulièrement lassant de ce genre de réflexions lues et relues. Après cette introduction propre à faire fuir le lecteur qui vient pour apprendre quelque chose ou passer du bon temps, je garde la crème, le hargneux, l'aigri, le misanthrope insupportable, bref, mon frère et ami.
La démocratie, donc. Le pouvoir au peuple, nous dit-on. Soit. J'ai bien conscience de ne pas être à moi tout seul le peuple, mais sans être tout à fait moyen, je suis au moins commun. Et tout commun que je suis, sans même aller chercher très loin dans la théorie, et au risque d'employer un mot grossier, j'ai bien l'impression d'être pris pour un con. On me dira: le français est râleur, le français n'est jamais content. Je le vérifie tous les jours, mais là n'est pas la question, puisque dans le cas présent, le français semble au contraire particulièrement patient et bonne pâte. Je vous passerais l'énumération laborieuse des faits récents, que vous connaissez, sinon mieux que moi. L'abstention sans cesse croissante est le symptôme que quelque chose s'est brisé dans l'idéal ou dans le mensonge, selon le point de vue. L'existence de cette impression d'être méprisé de la classe politique est indiscutable, aussi, examinons si le bon peuple de France est encore la victime crédule de la propagande populiste d'extrême-droite, ou si cette fumée a pour feu la Rome que Néron brûle.
Notre constitution est celle d'une démocratie. Notre système politique officiel est celui d'une démocratie. Nous votons, nous avons des représentants, que nous pouvons pétitionner et contacter ou rencontrer. En théorie, le système idéal. Mais il y a une faille: on est tous humains. La constitution n'a pas plus d'effet sur les hommes politiques, et notamment sur ceux qui ont une haute responsabilité dans le système que la loi n'en a, par elle-même, sur le peuple. Les textes et les principes n'ont aucune force par eux-même, derrière il faut une force répressive, quelque chose à craindre. La constitution n'est garantie que par des institutions qui font partie du système, qui sont globalement liées aux mêmes intérêts. Le gardien ultime de la constitution, en principe, c'est le peuple, mais les institutions qu'organise la constitution ont pouvoir sur le peuple. Le système, pour faire obéir le peuple, a la police et la justice; le peuple, désarmé, atomisé, gavé de propagande, n'a quasiment aucun moyen de résistance ni légale, ni même illégale.
C'est là qu'est le génie de la manoeuvre démocratique, car ce n'est rien d'autre qu'une manoeuvre politique. Consacrant dans le discours le pouvoir du peuple, il s'assure que dans les faits, en cas de "déviance" (si tant est qu'on puisse considérer comme une déviance le fait qu'un système arrive au but pour lequel il était prévu), ce soit toujours la force qui triomphe, celle qui est du coté des puissants. Car un député n'est pas un élu ou un représentant du peuple: c'est avant tout un puissant. Un président est un puissant. Ses ministres sont des puissants. Les préfets sont des puissants. Les juges sont des puissants. Eux sont obéis quand ils donnent des ordres, car la coutume a instauré un pouvoir de fait, en dehors de toute considération de légitimité démocratique, si bien qu'ils peuvent voter des lois anticonstitutionnelles (et c'est déjà largement fait, notamment du fait que des accords internationaux ou européens diminuent terriblement l'étendue de la souveraineté nationale), rendre des jugements iniques, tenir des discours mensongers et opposés à la fois aux désirs et aux intérêts du peuple, leur pouvoir n'est pas remis en question, leur légitimité n'est pas remise en cause, ou à peine.
Il est très important de comprendre et de faire réaliser que les textes, les lois, les principes n'ont de valeur que tant qu'il y a des gens pour y croire ou s'y tenir, ce qui fait un gros point commun avec les promesses mensongères. La crise des ligues, dans les années 30, n'est pas celle du fascisme, c'est au contraire la prise de conscience par une partie des français qu'il n'y avait plus qu'eux, pauvres crétins, pour encore croire à ces foutaises. Les puissants, eux, avaient depuis longtemps compris qu'une fois dans la place, tant qu'on maintient un minimum les apparences, on a carte blanche. La démocratie, c'est l'ode à la crédulité populaire que font les puissants qui peuvent se remplir les poches derrière un paravent de grands principes, de discours vibrants, et de promesses agréables. Et aujourd'hui, en 2010, nous sommes dans une situation bien pire encore que dans les années 30, car les puissants ont définitivement monté une fraternité internationale (plus de risque que divers troublions viennent les pousser de leurs sièges), ils ont une compréhension plus fine que jamais de l'importance de savoir communiquer, et notre dépendance vis-à-vis des institutions nous enchaîne au système, qu'il devient difficile d'imaginer renverser, même bousculer, sans risquer de perdre plus encore qu'en se laissant prendre pour un con.
D'ailleurs, malgré que je sois non-fumeur et que la fumée m'irrite les yeux, j'ai été atterré de voire que les français ont obéi si facilement à cette interdiction de fumer dans les lieux publics. Je ne suis franchement pas convaincu que le régime nazi aurait pu réussir une chose pareille. Ca me désole et ça me fait froid dans le dos. Les français d'aujourd'hui doivent être largement au dessus des allemands des années 30 et 40 sur l'échelle de Milgram.
Mais la contradiction précédemment dévoilée de la démocratie, à savoir le fait de prétendre donner le pouvoir au peuple tout en lui retirant tous les moyens de le recouvrer s'il en était spolié en lui opposant le pouvoir de fait et de coutume des institutions, ne se double t-elle pas d'un autre paradoxe plus profond encore? Car en donnant au peuple le droit de vote, et en consacrant la liberté (dans le discours), on affirme bien sa responsabilité et sa clairvoyance. Pourquoi alors ne pas l'autoriser à diriger par lui-même, pourquoi lui imposer un président, des ministres, une assemblée, un système judiciaire, etc? Laisser à un obèse le choix de son diététicien, est-on bien sûr que c'est là une grande preuve de confiance? En imposant le vote pour des représentants et un président, ne signifie-t-on pas au peuple que, justement, il n'est malgré tout pas assez grand pour se gérer tout seul?
On aperçoit alors clairement le péché originel de la démocratie: elle repose sur une conception de l'homme qui n'a pas été clarifiée: sait-il et fait-il ce qui est bon ou non? Si l'on prétend que l'homme est assez grand pour se gérer tout seul, on doit être partisan de l'anarchie (dans son sens noble et dégauchis), si l'on prétend le contraire, on doit être pour la dictature ou le royalisme. Un examen plus approfondi de la question montre que la conception fondamentale de la démocratie est en fait tout le contraire: aristocratique, puisqu'elle postule que seuls les élites élus sont responsables et aptes à gouverner le peuple globalement irresponsable et dangereux pour lui-même. Cette conception n'est pas en soi honteuse, sauf quand elle se part des atours de la thèse inverse en se nommant "démocratie". Ce glissement sémantique montre une volonté primordiale de tromper le peuple: il s'agit de lui faire croire qu'il est libre et responsable, pour que les élites gardent le pouvoir de fait. Ce mensonge fondateur est la marque de la malveillance intrinsèque qui préside à l'instauration du régime démocratique sur tout autre, et que l'on retrouve dans l'idée qu'en démocratie, la liberté, concept tant loué, n'est jamais que ce que permet la longueur de la chaîne.
C'est un classique incontournable de la réacosphère que de mettre son petit coup de tatane dans les flancs de la démocratie agonisante, aussi ne saurais-je y manquer, malgré le caractère particulièrement lassant de ce genre de réflexions lues et relues. Après cette introduction propre à faire fuir le lecteur qui vient pour apprendre quelque chose ou passer du bon temps, je garde la crème, le hargneux, l'aigri, le misanthrope insupportable, bref, mon frère et ami.
La démocratie, donc. Le pouvoir au peuple, nous dit-on. Soit. J'ai bien conscience de ne pas être à moi tout seul le peuple, mais sans être tout à fait moyen, je suis au moins commun. Et tout commun que je suis, sans même aller chercher très loin dans la théorie, et au risque d'employer un mot grossier, j'ai bien l'impression d'être pris pour un con. On me dira: le français est râleur, le français n'est jamais content. Je le vérifie tous les jours, mais là n'est pas la question, puisque dans le cas présent, le français semble au contraire particulièrement patient et bonne pâte. Je vous passerais l'énumération laborieuse des faits récents, que vous connaissez, sinon mieux que moi. L'abstention sans cesse croissante est le symptôme que quelque chose s'est brisé dans l'idéal ou dans le mensonge, selon le point de vue. L'existence de cette impression d'être méprisé de la classe politique est indiscutable, aussi, examinons si le bon peuple de France est encore la victime crédule de la propagande populiste d'extrême-droite, ou si cette fumée a pour feu la Rome que Néron brûle.
Notre constitution est celle d'une démocratie. Notre système politique officiel est celui d'une démocratie. Nous votons, nous avons des représentants, que nous pouvons pétitionner et contacter ou rencontrer. En théorie, le système idéal. Mais il y a une faille: on est tous humains. La constitution n'a pas plus d'effet sur les hommes politiques, et notamment sur ceux qui ont une haute responsabilité dans le système que la loi n'en a, par elle-même, sur le peuple. Les textes et les principes n'ont aucune force par eux-même, derrière il faut une force répressive, quelque chose à craindre. La constitution n'est garantie que par des institutions qui font partie du système, qui sont globalement liées aux mêmes intérêts. Le gardien ultime de la constitution, en principe, c'est le peuple, mais les institutions qu'organise la constitution ont pouvoir sur le peuple. Le système, pour faire obéir le peuple, a la police et la justice; le peuple, désarmé, atomisé, gavé de propagande, n'a quasiment aucun moyen de résistance ni légale, ni même illégale.
C'est là qu'est le génie de la manoeuvre démocratique, car ce n'est rien d'autre qu'une manoeuvre politique. Consacrant dans le discours le pouvoir du peuple, il s'assure que dans les faits, en cas de "déviance" (si tant est qu'on puisse considérer comme une déviance le fait qu'un système arrive au but pour lequel il était prévu), ce soit toujours la force qui triomphe, celle qui est du coté des puissants. Car un député n'est pas un élu ou un représentant du peuple: c'est avant tout un puissant. Un président est un puissant. Ses ministres sont des puissants. Les préfets sont des puissants. Les juges sont des puissants. Eux sont obéis quand ils donnent des ordres, car la coutume a instauré un pouvoir de fait, en dehors de toute considération de légitimité démocratique, si bien qu'ils peuvent voter des lois anticonstitutionnelles (et c'est déjà largement fait, notamment du fait que des accords internationaux ou européens diminuent terriblement l'étendue de la souveraineté nationale), rendre des jugements iniques, tenir des discours mensongers et opposés à la fois aux désirs et aux intérêts du peuple, leur pouvoir n'est pas remis en question, leur légitimité n'est pas remise en cause, ou à peine.
Il est très important de comprendre et de faire réaliser que les textes, les lois, les principes n'ont de valeur que tant qu'il y a des gens pour y croire ou s'y tenir, ce qui fait un gros point commun avec les promesses mensongères. La crise des ligues, dans les années 30, n'est pas celle du fascisme, c'est au contraire la prise de conscience par une partie des français qu'il n'y avait plus qu'eux, pauvres crétins, pour encore croire à ces foutaises. Les puissants, eux, avaient depuis longtemps compris qu'une fois dans la place, tant qu'on maintient un minimum les apparences, on a carte blanche. La démocratie, c'est l'ode à la crédulité populaire que font les puissants qui peuvent se remplir les poches derrière un paravent de grands principes, de discours vibrants, et de promesses agréables. Et aujourd'hui, en 2010, nous sommes dans une situation bien pire encore que dans les années 30, car les puissants ont définitivement monté une fraternité internationale (plus de risque que divers troublions viennent les pousser de leurs sièges), ils ont une compréhension plus fine que jamais de l'importance de savoir communiquer, et notre dépendance vis-à-vis des institutions nous enchaîne au système, qu'il devient difficile d'imaginer renverser, même bousculer, sans risquer de perdre plus encore qu'en se laissant prendre pour un con.
D'ailleurs, malgré que je sois non-fumeur et que la fumée m'irrite les yeux, j'ai été atterré de voire que les français ont obéi si facilement à cette interdiction de fumer dans les lieux publics. Je ne suis franchement pas convaincu que le régime nazi aurait pu réussir une chose pareille. Ca me désole et ça me fait froid dans le dos. Les français d'aujourd'hui doivent être largement au dessus des allemands des années 30 et 40 sur l'échelle de Milgram.
Mais la contradiction précédemment dévoilée de la démocratie, à savoir le fait de prétendre donner le pouvoir au peuple tout en lui retirant tous les moyens de le recouvrer s'il en était spolié en lui opposant le pouvoir de fait et de coutume des institutions, ne se double t-elle pas d'un autre paradoxe plus profond encore? Car en donnant au peuple le droit de vote, et en consacrant la liberté (dans le discours), on affirme bien sa responsabilité et sa clairvoyance. Pourquoi alors ne pas l'autoriser à diriger par lui-même, pourquoi lui imposer un président, des ministres, une assemblée, un système judiciaire, etc? Laisser à un obèse le choix de son diététicien, est-on bien sûr que c'est là une grande preuve de confiance? En imposant le vote pour des représentants et un président, ne signifie-t-on pas au peuple que, justement, il n'est malgré tout pas assez grand pour se gérer tout seul?
On aperçoit alors clairement le péché originel de la démocratie: elle repose sur une conception de l'homme qui n'a pas été clarifiée: sait-il et fait-il ce qui est bon ou non? Si l'on prétend que l'homme est assez grand pour se gérer tout seul, on doit être partisan de l'anarchie (dans son sens noble et dégauchis), si l'on prétend le contraire, on doit être pour la dictature ou le royalisme. Un examen plus approfondi de la question montre que la conception fondamentale de la démocratie est en fait tout le contraire: aristocratique, puisqu'elle postule que seuls les élites élus sont responsables et aptes à gouverner le peuple globalement irresponsable et dangereux pour lui-même. Cette conception n'est pas en soi honteuse, sauf quand elle se part des atours de la thèse inverse en se nommant "démocratie". Ce glissement sémantique montre une volonté primordiale de tromper le peuple: il s'agit de lui faire croire qu'il est libre et responsable, pour que les élites gardent le pouvoir de fait. Ce mensonge fondateur est la marque de la malveillance intrinsèque qui préside à l'instauration du régime démocratique sur tout autre, et que l'on retrouve dans l'idée qu'en démocratie, la liberté, concept tant loué, n'est jamais que ce que permet la longueur de la chaîne.
Inscription à :
Articles (Atom)