vendredi 20 août 2010

De la démocratie (et digressions)

Tout d'abord, je tiens à remercier mes trois commentateurs, à qui je n'ai pas su répondre car je ne suis par averti par mail des commentaires. J'écris ce nouveau billet sur une saute d'humeur, et voyant qu'il y a quand même eu quelques consultations.

C'est un classique incontournable de la réacosphère que de mettre son petit coup de tatane dans les flancs de la démocratie agonisante, aussi ne saurais-je y manquer, malgré le caractère particulièrement lassant de ce genre de réflexions lues et relues. Après cette introduction propre à faire fuir le lecteur qui vient pour apprendre quelque chose ou passer du bon temps, je garde la crème, le hargneux, l'aigri, le misanthrope insupportable, bref, mon frère et ami.


La démocratie, donc. Le pouvoir au peuple, nous dit-on. Soit. J'ai bien conscience de ne pas être à moi tout seul le peuple, mais sans être tout à fait moyen, je suis au moins commun. Et tout commun que je suis, sans même aller chercher très loin dans la théorie, et au risque d'employer un mot grossier, j'ai bien l'impression d'être pris pour un con. On me dira: le français est râleur, le français n'est jamais content. Je le vérifie tous les jours, mais là n'est pas la question, puisque dans le cas présent, le français semble au contraire particulièrement patient et bonne pâte. Je vous passerais l'énumération laborieuse des faits récents, que vous connaissez, sinon mieux que moi. L'abstention sans cesse croissante est le symptôme que quelque chose s'est brisé dans l'idéal ou dans le mensonge, selon le point de vue. L'existence de cette impression d'être méprisé de la classe politique est indiscutable, aussi, examinons si le bon peuple de France est encore la victime crédule de la propagande populiste d'extrême-droite, ou si cette fumée a pour feu la Rome que Néron brûle.

Notre constitution est celle d'une démocratie. Notre système politique officiel est celui d'une démocratie. Nous votons, nous avons des représentants, que nous pouvons pétitionner et contacter ou rencontrer. En théorie, le système idéal. Mais il y a une faille: on est tous humains. La constitution n'a pas plus d'effet sur les hommes politiques, et notamment sur ceux qui ont une haute responsabilité dans le système que la loi n'en a, par elle-même, sur le peuple. Les textes et les principes n'ont aucune force par eux-même, derrière il faut une force répressive, quelque chose à craindre. La constitution n'est garantie que par des institutions qui font partie du système, qui sont globalement liées aux mêmes intérêts. Le gardien ultime de la constitution, en principe, c'est le peuple, mais les institutions qu'organise la constitution ont pouvoir sur le peuple. Le système, pour faire obéir le peuple, a la police et la justice; le peuple, désarmé, atomisé, gavé de propagande, n'a quasiment aucun moyen de résistance ni légale, ni même illégale.

C'est là qu'est le génie de la manoeuvre démocratique, car ce n'est rien d'autre qu'une manoeuvre politique. Consacrant dans le discours le pouvoir du peuple, il s'assure que dans les faits, en cas de "déviance" (si tant est qu'on puisse considérer comme une déviance le fait qu'un système arrive au but pour lequel il était prévu), ce soit toujours la force qui triomphe, celle qui est du coté des puissants. Car un député n'est pas un élu ou un représentant du peuple: c'est avant tout un puissant. Un président est un puissant. Ses ministres sont des puissants. Les préfets sont des puissants. Les juges sont des puissants. Eux sont obéis quand ils donnent des ordres, car la coutume a instauré un pouvoir de fait, en dehors de toute considération de légitimité démocratique, si bien qu'ils peuvent voter des lois anticonstitutionnelles (et c'est déjà largement fait, notamment du fait que des accords internationaux ou européens diminuent terriblement l'étendue de la souveraineté nationale), rendre des jugements iniques, tenir des discours mensongers et opposés à la fois aux désirs et aux intérêts du peuple, leur pouvoir n'est pas remis en question, leur légitimité n'est pas remise en cause, ou à peine.

Il est très important de comprendre et de faire réaliser que les textes, les lois, les principes n'ont de valeur que tant qu'il y a des gens pour y croire ou s'y tenir, ce qui fait un gros point commun avec les promesses mensongères. La crise des ligues, dans les années 30, n'est pas celle du fascisme, c'est au contraire la prise de conscience par une partie des français qu'il n'y avait plus qu'eux, pauvres crétins, pour encore croire à ces foutaises. Les puissants, eux, avaient depuis longtemps compris qu'une fois dans la place, tant qu'on maintient un minimum les apparences, on a carte blanche. La démocratie, c'est l'ode à la crédulité populaire que font les puissants qui peuvent se remplir les poches derrière un paravent de grands principes, de discours vibrants, et de promesses agréables. Et aujourd'hui, en 2010, nous sommes dans une situation bien pire encore que dans les années 30, car les puissants ont définitivement monté une fraternité internationale (plus de risque que divers troublions viennent les pousser de leurs sièges), ils ont une compréhension plus fine que jamais de l'importance de savoir communiquer, et notre dépendance vis-à-vis des institutions nous enchaîne au système, qu'il devient difficile d'imaginer renverser, même bousculer, sans risquer de perdre plus encore qu'en se laissant prendre pour un con.

D'ailleurs, malgré que je sois non-fumeur et que la fumée m'irrite les yeux, j'ai été atterré de voire que les français ont obéi si facilement à cette interdiction de fumer dans les lieux publics. Je ne suis franchement pas convaincu que le régime nazi aurait pu réussir une chose pareille. Ca me désole et ça me fait froid dans le dos. Les français d'aujourd'hui doivent être largement au dessus des allemands des années 30 et 40 sur l'échelle de Milgram.

Mais la contradiction précédemment dévoilée de la démocratie, à savoir le fait de prétendre donner le pouvoir au peuple tout en lui retirant tous les moyens de le recouvrer s'il en était spolié en lui opposant le pouvoir de fait et de coutume des institutions, ne se double t-elle pas d'un autre paradoxe plus profond encore? Car en donnant au peuple le droit de vote, et en consacrant la liberté (dans le discours), on affirme bien sa responsabilité et sa clairvoyance. Pourquoi alors ne pas l'autoriser à diriger par lui-même, pourquoi lui imposer un président, des ministres, une assemblée, un système judiciaire, etc? Laisser à un obèse le choix de son diététicien, est-on bien sûr que c'est là une grande preuve de confiance? En imposant le vote pour des représentants et un président, ne signifie-t-on pas au peuple que, justement, il n'est malgré tout pas assez grand pour se gérer tout seul?

On aperçoit alors clairement le péché originel de la démocratie: elle repose sur une conception de l'homme qui n'a pas été clarifiée: sait-il et fait-il ce qui est bon ou non? Si l'on prétend que l'homme est assez grand pour se gérer tout seul, on doit être partisan de l'anarchie (dans son sens noble et dégauchis), si l'on prétend le contraire, on doit être pour la dictature ou le royalisme. Un examen plus approfondi de la question montre que la conception fondamentale de la démocratie est en fait tout le contraire: aristocratique, puisqu'elle postule que seuls les élites élus sont responsables et aptes à gouverner le peuple globalement irresponsable et dangereux pour lui-même. Cette conception n'est pas en soi honteuse, sauf quand elle se part des atours de la thèse inverse en se nommant "démocratie". Ce glissement sémantique montre une volonté primordiale de tromper le peuple: il s'agit de lui faire croire qu'il est libre et responsable, pour que les élites gardent le pouvoir de fait. Ce mensonge fondateur est la marque de la malveillance intrinsèque qui préside à l'instauration du régime démocratique sur tout autre, et que l'on retrouve dans l'idée qu'en démocratie, la liberté, concept tant loué, n'est jamais que ce que permet la longueur de la chaîne.

4 commentaires:

  1. Et bah, il y en a de la connerie en barre, sur ce blog !

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  2. Quand on y songe, la démocratie est un peu le corollaire du rejet de la Tradition en Occident à laquelle pourtant le visionnaire René Guénon en 1927 dans son livre "La crise du monde moderne" appelait à revenir pour que nous nous sauvions de nous-mêmes et de nos propres tendances qui, si elles sont poussées jusqu'au bout, nous mèneront inévitablement à la ruine et à la destruction.

    Blog de qualité, continuez.

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  3. Je ne connais ni ce livre, ni cet auteur, mais il est certain que c'est un constat qui est aujourd'hui, face aux faits qui nous entourent, à la portée de quiconque à un cerveau en état de marche. Et c'est d'ailleurs bien les traditions qui sont, et ont toujours été, la cible prioritaire de la modernité. En 1789, et surtout en 1792, on s'est attaqué au fondement: le pouvoir politique. On sait qu'une fois que l'on tient cela, une action révolutionnaire et subversive peut être rendue efficace, sinon elle est vouée à trouver une opposition qui a toujours la loi et le pouvoir pour elle, et contre laquelle il n'est pas possible de triompher.

    En 1905, c'est L'Eglise qui a été attaquée. Ainsi, on s'ouvrait la voie à la reprogrammation morale de la société, et l'on montrait au passage, pour le symbole, que la république a raison de Dieu. On rend aussi illégal les processions, les congrégations, beaucoup des manifestations vivantes de la foi populaire et traditionnelle. Puis le XXe siècle a été une longue chute dans la modernité, où petit à petit des repères essentiels se sont estompés sous les coups des partisans d'un relativisme qui ne touche jamais -c'est commode- leurs propres opinions et doctrines. En vrac: mai 68, lois Veil et Gayssot, touche-pas-à-mon-pote, défilé et allocution de Mitterrand pour l'affaire de Carpentras, etc...

    Aujourd'hui, on ne sait plus ou on va pouvoir aller. On ne peut pas tomber moralement plus bas, je pense. La tolérance populaire pour les caprices et modes venues d'en haut ne peut guère encaisser plus. Donc soit cette population, par amour de la provocation de ne pas suivre quand on lui dit, et aussi par prise de conscience sur les tombereaux de vipères qu'on lui a déjà fait ingurgiter, petit à petit se met à se détacher de cette société décadente qu'on construit les "élites", pour en construire une plus humaine, plus effective, plus naturelle finalement; soit, étant trop lente à cela, ou trop enfoncée pour s'en sortir, disparaitra du fait des simples rapports démographiques avec les immigrés, et des poids culturels et identitaires jouant en notre défaveur.

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  4. Si j'avais un autre conseil de lecture à vous donner, ce serait son deuxième livre majeur intitulé: "Le règne de la quantité et les signes des temps", véritable prophétie de nos temps modernes où le malaise humain à rarement été aussi profond en Occident.
    Je présume que vous connaissez les admirables et incontournables essais de l'immense Georges Bernanos.

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