samedi 11 septembre 2010

Le crime du siècle

Crime of the century est un album de Supertramp, sorti en 1974. Supertramp n'est certes pas un groupe réactionnaire, mais Roger Hodgson -que je considère, personnellement, comme l'âme du groupe- avait une importante sensibilité, et en cela était très humain, chose que le siècle veut faire disparaître. Si vous avez cet album, je vous conseille de vous le passer en même temps. Sinon, empruntez-le à la discothèque, ou à défaut, téléchargez-le. Prenez le temps de prendre le temps, et écouter du début à la fin un bon album est pour cela une agréable occasion.

Cet album s'ouvre sur la chanson School, dont on pourrait facilement dire qu'elle est de ton gauchiste, mais qui met plus généralement en garde sur la tendance à l'abrutissement, à l'anéantissement des individualités, des originalités, auquel mène l'éducation bourgeoise, devenue la norme. De manière générale, c'est une critique, certes un peu conventionnelle, mais qui fait une bonne introduction, de notre société étouffante pour les êtres humains. Cette société qui n'accepte ni guerrier, ni mystique, ni prêtre, ni artiste, ni la moindre forme d'imprévu, est finalement contre l'élan vital, créatif, bouillonnant, de la vie, dont l'homme est l'aboutissement aussi bien individuellement que collectivement. C'est tiraillé par sa nature aux milles facettes contradictoires, et s'en sortant par nécessité, que l'homme est Homme, et grandit.

Vient ensuite Bloody well right, que je comprends personnellement comme la critique de la petite mentalité gémiarde commune, qui se plaint souvent, qui se trouve des excuses, qui aime se sentir en droit de se plaindre. Mais ce mécontentement en réalité profondément légitime n'est pas compris de ceux même qui l'exprime, qui finalement tolèrent et supportent en gémiant, sans rien faire d'autre qu'aller se plaindre quelque part où ils savent qu'ils ne seront pas entendu, et sans même sentir qu'au fond, il y a bien plus en jeu que ce qu'ils imaginent.

Hide in your shell a pour moi une charge émotionnelle très forte, puisqu'elle me rappelle le plus bel et pur amour que mon coeur ait connu, mais qui évidement était inaccessible. Cette chanson raconte la sympathie, au sens le plus fort, que peut avoir un être pour un autre. Il comprend ses peines, ses doutes, ses regrets, ses hypocrisies, il voit en lui clairement, et veux porter avec lui l'existence, qui parfois est une charge. Il est question aussi de la barrière des convenances et d'une certaine forme de détachement qui nous éloigne des autres. On bloque même les sentiments bénéfiques, on bloque même le partage heureux, on bloque la joie, on bloque l'amour. Mais on en souffre, car quand on est dans la peine ou la difficulté, on attend fébrilement qu'une main se tende. Et quand c'est enfin le cas, par orgueil, on la repousse. Cette chanson est la prière de celui qui tend la main, qui tend l'amour, à celui qui devrait s'en saisir franchement, sans hésiter, au lieu de maintenir la distance, de rester dans cet isolement qui détruit.

Asylum est une chanson assez troublante, peu compréhensible à mon sens. Mais elle porte bien son nom. C'est clairement l'histoire d'un "fou" qu'on a coffré à l'asile, mais on ne sait pas vraiment pourquoi. Manifestement, il ne supportait pas son voisin quand il était encore dehors, le genre de voisin dont les seules phrases qu'on arrive à tirer sont: "Bonjour, comment allez-vous?", "Quel agréable après-midi!", "Pensez-vous qu'il va pleuvoir?" et "J'ai failli rater mon train". Je pense que ça rejoint un peu le thème de la chanson précédente sur l'idée qu'il est déraisonnable de vouloir un peu de chaleur humaine, ou même simplement d'avoir affaire à des humains, et non à des machines dépersonnalisées. Si des commentateurs plus habiles en anglais que moi pouvaient m'aider à saisir le sens exact -si toutefois il y en a un- de cette chanson, je leur serait reconnaissant.

Dans Dreamer, on nous appelle à rêver un peu, à ne pas se contenter du matériau disponible dans notre existence. Si l'on se retrouve souvent au pied du mur, sans plus se sentir capable de faire quoi que ce soit, c'est surtout par manque d'imagination. Si on avait rêvé un peu avant d'en arriver là, on aurait bien imaginé une autre issue, on aurait bien pu se la rendre accessible. Et celui qui se retrouve finalement au pied du mur se moque pourtant facilement du rêveur, lui se croit concret, pragmatique, réaliste, et méprise ce rêveur dont l'esprit vadrouille, mais est donc libre.

Rudy est dans un train vers nul part. Il passe dans la vie, il attend toujours, il se sent toujours avoir besoin de temps. Il ne veut pas se tromper, aussi se décide-t-il toujours trop tard, et l'occasion est passée. Il vit dans l'attente d'une joie qui est toujours à portée de main, mais qu'il ne sait pas saisir quand elle approche, et sa main se referme toujours sur du vide. Il sait ce qu'il devrait faire, comment il devrait être, il n'ignore rien de tout cela. Mais il est toujours très vite de retour dans son train. Paul connait un frère à Rudy: Nowhere Man. Combien sommes-nous à passer ainsi dans notre propre vie?

La scène est en place, les lumières sont éteintes, tout le monde est dans les coulisses, le rideau est prêt à être levé dans If everyone was listening. Mais personne ne sait vraiment quelle pièce va être jouée, quel rôle il y a, quel est son personnage, son costume, ses répliques. Mais la pièce se joue quand même. C'est le drame de notre existence que nous jouons sans y comprendre grand chose. On ne sait pas ce qu'on fait, on n'écoute personne, on saccage tout, on gâche tout, en croyant avoir bien fait. On s'est cru tout seul sur scène, on a cru qu'être acteur était suffisant. Mais le rideau tombe, et la pièce est jouée: qu'avons-nous fait?

Nous y sommes, nous allons découvrir qui a préparé le Crime du siècle. Mais il y a quelque chose qui cloche: c'est vous et moi.



SIÈCLE, subst. masc.
I. Espace de temps.
II. P. méton., au sing.
A. Ensemble de caractéristiques propres à un siècle, à une époque donnée.
B. RELIGION [Avec art. déf.]
2. Empl. abs.
a) Le monde et ses préoccupations temporelles (considérées comme frivoles, futiles, par opposition à la vie spirituelle, chrétienne).

3 commentaires:

  1. Supertramp.. nickel chrome il est vrai. Surtout les curieux mais indispensables arrangements, coups de sifflets .. fallait le faire.
    Parmi d'autres bien sur.

    http://lhddt.wordpress.com/2010/06/26/clermont-capitale-du-rock/

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  2. Nous avons quelques points communs : fréquentons FDS, quitté Paris depuis un peu plus de trois ans pour les marches de l'Auvergne (où l'allogenité me rattrape...) et fan absolue de Genesis... Salut amical !

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  3. Hier encore, et récemment, je me ré-écoutais la série Foxtrot-Nursery Crime-Selling England... que c'est bon, que c'est bon!! Ce sont vraiment des grands de la musique du XXe siècle, une créativité, une énergie, mais en même temps un sens "naturel" de la composition, de l'harmonie, un talent pour garder l'auditeur attentif, intéressé. Franchement, sans exagérer, je pense qu'ils dépassent beaucoup de grands noms du classique. Supper's Ready est une vraie perle qui n'a, selon moi, pas d'équivalent dans l'histoire de la musique. Quel dommage qu'ils aient changé, et que Genesis ait disparu.

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